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La Ligue des justes puis des communistes avait bien changé son slogan de « Tous les hommes sont frères » à « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » (qui est encore le nôtre aujourd’hui). Marx et Engels avaient alors passé un cap, défini une théorie pour l’émancipation des travailleurs et commencé à militer avec certains d’entre eux. Mais comme ils l’ont dit eux-mêmes dans le Manifeste, partant de l’observation et de l’étude de la société, des rapports de force forcément changeants entre les classes pour déterminer leur action pratique, il n’était pas question pour eux de définir « les marmites de l’avenir ».

C’est donc par la suite leur propre expérience militante, analysée avec l’outil du matérialisme historique, qui leur permettra d’avoir des réponses plus précises à des questions essentielles restées en suspens, en particulier concernant la prise du pouvoir et le renversement du capitalisme par les travailleurs.

L’expérience riche d’enseignements de 1848 :

En février 1848, une révolution a éclaté en France puis en mars à Berlin et ailleurs en Europe, comme une traînée de poudre. Au mois de février, c’est la liesse chez les bourgeois libéraux qui, en s’appuyant sur la colère des masses, chassent le roi Louis-Philippe et proclament la République. Chez les révolutionnaires, partisans de la lutte armée contre l’autocratie, des légions sont même organisées pour exporter la Révolution vers le reste de l’Europe au nom d’idéaux démocratiques communs.

Marx et Engels retournent en Allemagne pour y mener le combat contre l’absolutisme à travers un journal la Nouvelle gazette rhénane, « organe de la démocratie ». Ils y défendent une politique de front unique avec la bourgeoisie radicale dans lequel la classe ouvrière doit constituer l’aile marchante la plus déterminée. Mais la bourgeoisie finit par se réfugier dans les bras de la réaction par peur des ouvriers, entraînant l’écrasement de la révolution…

Engels s’engage même militairement dans les derniers combats de la Révolution, d’où son surnom « le Général »…

Mais en juin, ces mêmes bourgeois français du gouvernement libéral du poète Lamartine, inquiets de la mobilisation populaire qui ne se contente pas du changement de régime et veut une « République sociale », décident d’en finir avec la révolution. Les ouvriers parisiens se révoltent durant cinq jours et sont massacrés en juin.

Marx et Engels, persécutés, analysent les évènements depuis l’exil et tirent les premières conclusions dans une adresse dans laquelle ils déclarent qu’il faut « la révolution en permanence ». Cela signifie que la bourgeoisie libérale préfère se réfugier dans les bras de la réaction plutôt que de mener jusqu’au bout la lutte démocratique. Il faudra donc désormais que la classe la plus nombreuse et la plus opprimée mène jusqu’au bout la lutte et pour la démocratie, arène plus large pour son combat que les monarchies, et pour son émancipation complète, économique et sociale et celle de tous les autres opprimés (classes moyennes intellectuelles, petits artisans, paysans…). Cette classe ne peut être que la classe libre du travail de la terre mais enchaînée à l’usine, qui si elle s’en empare, dépossède les capitalistes et devient elle-même le pouvoir. Elle doit donc s’organiser, non derrière les bourgeois, mais pour son propre compte, en entraînant les autres opprimés, c’est ce qu’on appelle l’indépendance de classe.

Quand le mouvement révolutionnaire recule, victime de la répression, les querelles internes dans les milieux militants forcément réduits s’exacerbent, prennent le pas sur le combat d’idées. Marx et Engels s’aperçoivent que l’organisation qu’ils avaient contribué à construire de toutes leurs forces, en donnant un programme à des travailleurs, des artisans pour la plupart en exil et de ce fait sensibles aux rêveries utopistes ou putschistes, n’est plus viable, ne correspond plus à leur projet. Ils décident de dissoudre la Ligue des Communistes en 1852. Réfugiés, persécutés, ils n’abandonnent pas pour autant leurs liens avec le mouvement ouvrier et leurs recherches.

Le développement du capitalisme et de la lutte de classes amènent l’avènement en France de l’empire de Louis Napoléon Bonaparte. Marx et Engels analysent la nouvelle situation, un « bonapartisme » où l’Etat, en l’occurrence l’Empire, veut se mettre en équilibre entre la bourgeoisie et un prolétariat croissant qu’il amadoue démagogiquement car il le craint. La question qui les taraude dans ce nouveau contexte est : comment le capitalisme a-t-il survécu à la révolution de 1848 ? Pourquoi et comment survit-il aux crises ? Bruno a expliqué comment ils en sont arrivés alors à la théorie de la plus-value.

Ils savent qu’au-delà de la défaite de la Révolution s’ouvre une nouvelle phase de développement capitaliste et donc inévitablement aussi, du mouvement ouvrier qu’il s’agit d’aider à se réorganiser sur de nouvelles bases plus larges. Avec le développement du capitalisme dans ses bastions et sur toute la planète, il devient vraiment évident que le temps des chapelles de visionnaires moralistes et individuels est terminé.

Marx et Engels montrent dans leurs écrits de cette époque, partout, le progrès de la bourgeoisie sur les féodaux. Par la biais des articles qu’ils sont amenés à écrire (la seule source -bien faible- de revenus de Marx, surtout pour un journal oweniste américain, The New York Tribune), ils défendent l’idée que l’ancien monde féodal doit être renversé, même à feu et à sang comme dans les colonies de Chine, d’Inde, d’Algérie, pour créer une arène plus moderne, plus vaste pour la lutte des classes. Ils ne pouvaient cependant à l’époque voir le potentiel révolutionnaire des masses exploitées de ces pays, qui elles-mêmes, presque toutes rurales, n’étaient pas organisées.

Marx et Engels sont avides, comme tous les révolutionnaires curieux des luttes et progrès de leur temps, de connaître et analyser toutes ces réalités différentes mais les contraintes matérielles de l’époque (leur éloignement, pour Marx, sa misère même) déterminèrent les limites de leur analyse.

Ils ont pu être plus au fait de la lutte pour l’indépendance de l’Irlande, plus proche, qu’ils ont défendue contre l’impérialisme britannique, comme un droit démocratique d’une nation opprimée, une lutte aussi pour unifier les travailleurs de ce pays divisés par le racisme.

Du fait du nouvel essor du capitalisme, la classe ouvrière était en train de s’accroître, en particulier en Angleterre. En son sein se développaient les syndicats auxquels participaient des militants dits trade-unionistes. En France, par contre, la classe ouvrière n’était pas encore aussi développée. Les courants blanquistes et mutuellistes issus du prudhonisme y étaient plus forts. Ils défendaient l’idée de s’émanciper en faisant des coopératives ouvrières. Il y en avait même qui s’opposaient aux grèves sous prétexte qu’elles auraient été une acceptation du système du salariat car il fallait se salarier soi-même.

Marx et Engels avaient des liens avec tous ces militants, tant avec ceux issus des courants blanquistes (conspirationnistes, adeptes du coup de force, des « totos » d’aujourd’hui) que des courants proudhoniens (réformistes, l’équivalent aujourd’hui de ceux qui sont pour agir dans le système, créer des ZAD ou autres lieux d’expérimentation collective en préservant le capitalisme).

Marx et Engels ont vécu alors la période la plus noire de leur existence. Exilés, Marx a dû vivre aidé par Engels lui-même obligé de retourner travailler chez son fabriquant de père pour subvenir aux besoins de son ami qui vivait dans une telle misère que, par exemple, il n’avait pas eu assez pour acheter le cercueil d’un de ses 3 enfants morts de misère…

Le temps arraché aux contraintes de la vie était exploité au mieux pour analyser, étudier la période et ses potentialités révolutionnaires. On peut presque dire qu’à quelques années près, Marx a passé presque 20 ans de vie à étudier tous les jours à la bibliothèque du British Museum (où on a même conservé sa place préférée !) Mais les quelques moments où il a été amené à intervenir directement en politique ont été cruciales.

Dans une lettre à un militant en 1853, Marx, ni optimiste ni pessimiste mais lucide, écrit :

« Pour apprécier à leur juste valeur les grèves et les coalitions, nous ne devons pas nous laisser aveugler par l’insignifiante apparence de leurs résultats économiques, mais garder par-dessus tout à l’esprit leurs conséquences morales et politiques » Puis, plus tard : « L’organisation de la classe ouvrière en tant que classe grâce aux syndicats est un point très important, car c’est là la véritable organisation de classe du prolétariat, au sein de laquelle il soutient sa lutte quotidienne contre le capital, qui est pour lui une école ».

L’AIT

Suite à cette lente maturation politique et sociale qu’ils vont suivre pas à pas en encourageant les éléments les plus avancés, en critiquant les plus rétrogrades, en préparant les évolutions, va se produire un évènement inattendu y compris pour ses organisateurs.

Profitant du rendez-vous international de l’Exposition universelle bourgeoise de 1862, une délégation de militants ouvriers français sera reçue par des militants anglais. En marge de l’Expo, un grand meeting est organisé au Saint Martin’s Hall présidé par un professeur de fac progressiste (Beesly). Il s’agissait pour ces militants ouvriers, au départ, de s’entendre entre travailleurs pour lutter contre l’emploi de « jaunes » français pour casser les grèves anglaises. De fait, et sans que personne ne l’ait prévu, cette réunion a donné naissance deux ans plus tard à la première organisation internationale d’ouvriers, à la première entente internationaliste entre travailleurs contre le capital, l’AIT.

Marx et Engels comprennent qu’après plus de 10 ans de répression et de décomposition, le mouvement ouvrier, transformé, plus moderne, relève la tête, et qu’il leur faut y intervenir. Cela s’est formalisé ensuite, presque naturellement vu les liens conservés et créés durant toutes ces années. Ces militants qui connaissaient tous la valeur du travail infatigable de Marx pour comprendre la situation et offrir des perspectives au monde du travail, ont à nouveau fait appel à lui, comme la Ligue des Justes en 1848 avec le Manifeste, pour qu’il rédige le programme et les statuts de la première internationale ou AIT.

Marx s’acquitta aussitôt de cette tâche complexe et enthousiasmante car il s’agissait de réunir derrière un objectif commun de renversement de l’ordre établi des groupes à présent internationaux à des niveaux de développement et de conscience très divers.

Cela va donner un autre texte extraordinaire par sa démarche. C’est le programme de l’AIT ou Adresse inaugurale. En effet, dans ce texte, autant Marx est intransigeant sur le fond, à savoir veut le débarrasser de toutes les illusions putschistes nationalistes des anciens blanquistes, des rêveries utopistes et autres illusions mutuellistes, pour appeler à construire de partis modernes, ouverts, éduquant à la conscience révolutionnaire et défendant la prise du pouvoir par les travailleurs, autant il est tolérant sur la forme, le type d’adhésion, les rythmes, les cartes, les noms, etc.

Par exemple, il va conserver quelques formulations auxquelles les militants tenaient, telles, en préambule, la poursuite de la « morale », la « justice » ou la « vérité », mais en montrant qu’elles ne conditionnent pas la société qui est déterminée par le développement historique, la situation de la classe ouvrière évoquée par le reste de l’Adresse inaugurale.

De même, il ne prend pas le contrepied des coopératives auxquels certains tenaient tant. Mais il dit que si elles sont utiles pour que les travailleurs apprennent à gérer l’économie, elles ne seront efficaces qu’à l’échelle d’un pays, ce qui revient à dire sans le dire, que par l’appropriation collective des travailleurs Pour cela il faut que la classe ouvrière s’organise en toute indépendance avec la perspective de s’emparer du pouvoir économique et politique.

Ce qui comptait pour Marx et Engels était, non des principes tout faits qu’il fallait adopter au mot près, non de construire un parti idéal, mais tout pas en avant du mouvement réel, plus important que toutes les proclamations, tout qui renforçait l’organisation, l’indépendance de classe, la lutte, la conscience et la force des ouvriers.

La Commune

Un autre évènement en partie imprévu va mettre tout le monde en action ensemble et trancher momentanément ces désaccords: la France de Bonaparte va envahir l’Allemagne. Marx et Engels s’appuient aussitôt sur la profonde aspiration des travailleurs et des peuples à la paix, alors que certains utopistes empreints de nationalisme veulent à nouveau partir en guerre dans des légions pour la « libération de l’Allemagne »…

Mais quand l’Allemagne (la Prusse à l’époque) finit par envahir Paris, il se produit un autre évènement important. Le gouvernement bourgeois de Thiers s’enfuit à Versailles et Paris reste… entre les mains de ceux qui ne fuient pas, c’est-à-dire, des travailleurs !

En l’espace de quelques jours, en prenant les armes, en élisant ses responsables parmi des travailleurs manuels et intellectuels, la Commune a détruit l’armée et la police bourgeoises pour les remplacer par les siennes. Le peuple de Paris, ses militants les plus divers et les plus aguerris, ont mis en place, selon l’expression de Marx, « la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat ».

Ce qu’il avait entrevu en analysant la société capitaliste avec la méthode du matérialisme scientifique et mis sur le papier, défendu comme programme dans le Manifeste du Parti communiste, de modestes travailleurs le réalisaient, lui donnaient un contenu : destruction de l’armée, armement du peuple, gouvernement « bon marché » (c’est-à-dire avec des élus au suffrage universel, révocables à tout moment, payés le salaire d’un ouvrier, et comme la classe ouvrière internationale, internationaliste (l’un des ministres était polonais). Un gouvernement exécutif et législatif à la fois, qui appliquait aussitôt ce qu’il décidait car composé de travailleurs et de militants dévoués, n’ayant d’autre but que de servir le bien commun.

Marx va par la suite rédiger des adresses, des déclarations regroupées dans une brochure intitulée La guerre civile en France pour tirer les leçons de ce magnifique moment où « le prolétariat est parti à l’assaut du ciel ». C’était au moment où tous s’acharnaient contre le prolétariat et contre lui, après la terrible répression de la Commune (20 000 morts, des milliers de prisonniers, de blessés, de déportés), à la hauteur de la haine de la bourgeoisie pour la classe ouvrière qui osait prendre le pouvoir, de sa terreur aussi face aux ouvriers, aux femmes, aux jeunes qui montraient qu’ils étaient un avenir égalitaire et bien plus démocratique de la société. Comme Marx a dit : « Sous les yeux de l’armée prussienne qui avait annexé à l’Allemagne deux provinces françaises, la Commune annexait à la France les travailleurs du monde entier ».

De fait, bien que surgie d’un évènement au départ imprévu, la Commune de Paris a montré qu’elle était bien la « fille spirituelle de l’AIT ». Toutes les années de laborieux travaux et de discussions pour convaincre les militants les plus avancés qu’ils devaient cesser de courir après des chefs charismatiques conspirateurs et incontrôlés, qu’ils ne devaient compter que sur leur propres forces organisées ouvertement et démocratiquement, faire de la politique eux-mêmes en créant des noyaux de lutte partout, (jusque dans les sociétés de gymnastique !) portaient enfin leurs fruits. Même si les militants des différents courants du mouvement ouvrier n’avaient pas réussi à surmonter leurs désaccords dans le feu du combat, leur conscience avait évolué ; par les épreuves, il y avait un avant et un après la Commune.

Désormais, dès qu’une révolte ou une grève éclatait quelque part, et il y en a eu de plus en plus au fur et à mesure que la classe ouvrière se développait, les gouvernements et leurs sbires criaient « haro sur l’Internationale » !. Marx, au fin fond de sa bibliothèque et de son quartier sombre de Soho à Londres, était devenu la bête noire de la bourgeoisie mondiale, comme le disait le Manifeste à propos du communisme, « un fantôme (qui) hante l’Europe, le spectre du communisme ».

Le principal acquis de la Commune a bien été de montrer par les faits la nécessité et la possibilité du pouvoir du plus grand nombre, d’une vraie démocratie par opposition à la prétendue démocratie d’une minorité, la démocratie bourgeoise. Ce qu’elle n’a pas pu faire en l’espace d’un mois et demi, elle l’a semé.

Désormais, la classe ouvrière n’allait cesser de se développer à travers l’Europe et au-delà, en Russie, en Amérique. L’AIT est morte de sa belle mort en 1872, victime de comportements de petit groupes après la répression de la Commune. Mais, parallèlement, une nouvelle classe ouvrière surgissait et les partis qu’elle construisait se formaient sur la base des idées marxistes. Des flancs de la société d’après 48 et la Commune naissait dans la douleur une nouvelle.

Interventions dans le mouvement ouvrier : le programme de Gotha et les circulaires de l’AIT

Quand dans la période suivante le mouvement ouvrier allemand s’est réorganisé en parti politique large, le militant le plus reconnu n’a pas été Marx qui n’y a quasiment pas milité, contraint presque toute sa vie à l’exil, mais un militant, un grand organisateur appelé Lassalle. Marx eut assez vite à se confronter à lui lorsqu’il commença à défendre des thèses laissant entendre que l’Etat pouvait être rendu plus démocratique ou plus social. Dans leur lutte contre la politique réformiste de Lassalle, Marx et Engels en arrivèrent à définir ce que sera « l’extinction de l’Etat » ouvrier. Ils ont ainsi défini ce que serait en théorie le passage d’une société de classes dirigée par un Etat à une société contrôlée par les travailleurs, où la majorité serait Etat après un bouleversement violent et du coup, où peu à peu, n’aurait plus besoin d’Etat car il n’y aurait plus besoin de contraindre qui que ce soit, tous bénéficiant du travail collectif, plus personne n’ayant besoin ni même idée de déposséder quelqu’un d’autre. Ils ont ainsi complété leur théorie qui aboutissait à la dictature du prolétariat en montrant comment cette même dictature serait dépassée. On passerait alors, en reprenant une expression de l’utopiste Saint-Simon, « de l’administration des hommes à la simple administration des choses » ou « du règne de la nécessité au règne de la liberté ». Des sujets de débat aussi et déjà à l’époque, avec le mouvement anarchiste pour lequel la destruction de l’Etat suffirait.

Marx et Engels ont par la suite continué leur travail d’élaboration pour le mouvement ouvrier. A travers des circulaires pour les délégués aux congrès élus et révocables, dont Marx et Engels aux mêmes, dans des programmes pour les partis socialistes naissants, ils ont défendu les 8h de travail, des revendications en faveur de l’unité avec les travailleurs immigrés, pour le travail des femmes et le droit à l’éducation technique pour tous les enfants...

Marx et Engels ont été tout sauf des rats de bibliothèque, des penseurs pontifiants, prétentieux et abstraits, coupés de la réalité des luttes de leur temps. Une fois leur théorie découverte, débattue, définie, éprouvée comme toute théorie scientifique, ils s’en sont servis pour intervenir à la demande des militants ouvriers dans la lutte des classes qu’ils menaient, « le développement réel », pour organiser sa fraction la plus avancée sans se couper des autres, pour faire faire des pas en avant à la classe ouvrière en s’appuyant sur ses propres expériences, sur son propre mouvement, la rendre consciente d’elle-même et de sa force révolutionnaire et de sa capacité à s’emparer du pouvoir pour renverser cette société.

En guise de conclusion

Marx n’était pas un visionnaire ; quand il avait envisagé par exemple une révolution en 1850, elle n’a pas eu lieu. Il n’a jamais pensé que la révolution pourrait démarrer d’un pays aussi arriéré que la Russie, et c’est pourtant ce qui s’est passé.

De fait, sa théorie du matérialisme militant qu’on appelle pour simplifier marxisme (Marx lui-même détestait cette qualification qui personnalisait et lui attribuait une théorie et un combat de fait nés de combats passés et non issue de son cerveau), le marxisme, donc, s’est développé en se confondant avec les différentes étapes des luttes de la classe ouvrière pour la conquête de ses droits, son émancipation, liées aux différentes phases du développement du capitalisme.

Comme nous l’avons vu, chaque phase de développement du capitalisme a débouché sur une crise révolutionnaire.

A partir de la révolution et la défaite de juin 1848, la classe ouvrière a pris conscience de la nécessité de défendre ses propres intérêts indépendamment de la bourgeoisie et petite bourgeoisie aussi radicales fussent-elles.

Durant la Commune de 1871, les ouvriers ont prouvé qu’ils devaient en finir avec l’État pour créer leur propre forme de pouvoir politique, outil de leur émancipation et de celle de tous les opprimés.

Au début du XXème siècle, une nouvelle phase de développement du capitalisme conduit au stade de l’impérialisme, c’est-à-dire de la conquête des empires coloniaux. Les rivalités impérialistes exacerbées aboutissent à la Première guerre mondiale. Dans ce cadre, le mouvement ouvrier se construit pas à pas d’abord dans des partis socialistes de classe et de masse qui ont été jusqu’à avoir des députés au Parlement en Allemagne (même si pas longtemps et assez vite en prison, même tout députés qu’ils étaient).

On n’a pas le temps de développer ici, mais une nouvelle étape du mouvement ouvrier sera franchie avec la trahison des partis socialistes qui décident de rejoindre l’Union nationale pour la guerre, abandonnant l’internationalisme ouvrier, ce qui entraînera la création de partis communistes après la prise du pouvoir par les travailleurs avec la Révolution de 1917.

Elle a été en effet la première révolution ouvrière victorieuse à l’échelle d’un pays suivie de la vague révolutionnaire des années 20… qui n'a pas réussi à en finir définitivement avec le capitalisme.

Malgré les échecs, la révolution a continué à faire son œuvre aboutissant à la vague révolutionnaire des luttes anticolonialistes...

Le stalinisme, après la social-démocratie, ont fait du marxisme une caricature, en transformant une méthode de pensée vivante en un dogme immuable auquel il faudrait plier la réalité, dont il faudrait tirer les bons mots d’ordre historiques applicables à toutes les situations. Ils l’ont en plus amputé de son internationalisme viscéral pour le mêler à toute sorte de sauces nationalistes comme on le voit avec le PC qui dans ses meetings chante l’Inter suivie de la Marseillaise, par exemple.

Caricatures qui ont permis à des courants nationalistes, maoïstes, de recouvrir d’une phraséologie marxiste la défense de leurs intérêts de classe, celle d’une petite bourgeoisie nationale en lutte contre l’impérialisme mais en rupture avec le projet émancipateur du socialisme.

Le marxisme, c’est tout le contraire d’un dogme. Marx et Engels, comme après eux Lénine, Trotski, Rosa Luxembourg et bien d’autres ont nourri cette conception matérialiste de tous les apports des progrès liés au développement de la société, de la lutte des classes.

La conception matérialiste de Marx a été vérifiée par l’expérience concrète, en tant que méthode pour définir une politique indépendante pour la classe des salariés, comme en tant que perspective pour inscrire ce combat dans le développement historique.

Alors, aujourd’hui, avec l’aide de cet instrument, nous pouvons mesurer que nous sommes à une nouvelle époque : celle de la mondialisation financière, libérale et impérialiste, rongée de contradictions et donc, avec des possibilités révolutionnaires comme jamais.

Elle se caractérise par une exacerbation sans précédent des contradictions du capitalisme qui redonne à la critique de Marx et Engels toute sa force révolutionnaire.

Cette mondialisation capitaliste s’est accompagnée d’un développement sans précédent de la classe ouvrière à l’échelle du monde, et à l’opposé, de la concentration entre de moins en moins de mains de toute la richesse produite de plus en plus collectivement. 

Ce qui à l’époque de Marx ne concernait que quelques pays européens et l’Amérique est devenu la réalité du monde dans sa globalité et avec le même potentiel révolutionnaire qu’il avait anticipé. La bourgeoisie a produit ses propres fossoyeurs mais aujourd’hui à une toute autre échelle qu’à son époque.

Le marxisme nous est actuellement utile pour comprendre que la révolution est un processus ininterrompu qui s’inscrit dans le développement même de la société et des luttes de classes.

La révolution est l’accoucheuse d’une nouvelle société dont les prémisses se sont formées au sein de l'ancienne, les militants et leur parti en sont en quelque sorte la sage-femme. La révolution, ce n’est pas un grand soir ne reposant que sur le volontarisme militant.

Faire de la politique, c’est donc comprendre, étudier, formuler les étapes, les enjeux de la lutte sociale pour lui permettre de se développer avec « la compréhension et le savoir du mouvement dans son devenir. »

Le marxisme nous sert à inscrire le combat contre toutes les formes d’oppression, comme celui contre la crise écologique due à la mondialisation capitaliste, dans la seule perspective historique possible et nécessaire, celle du renversement du capitalisme et de la propriété privée pour permettre leur dépassement : le socialisme.

C’est l’apport irremplaçable de Marx d’avoir élaboré cette conception matérialiste révolutionnaire, c’est-à-dire l’outil, les armes pour construire cette conscience qui nous permet d’être libres, et donc acteurs de la transformation révolutionnaire de la société.

Marx faisait siennes un devise de Lucrèce « Je suis Homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger » et une de Spinoza : « Ni rire, ni pleurer, mais comprendre ». Nous aussi !

Pour qui veut aussi avant tout comprendre, en finir avec une société barbare et en même temps pleine de possibilités, il peut sembler que l’inéluctabilité de la chute du capitalisme a été démentie par des faits observables : grâce au stalinisme, à l’étouffement dans les frontières nationales des révolutions coloniales, à la capacité financière des banques des grandes puissances, le capitalisme s’est maintenu, a surmonté de terribles crises, a même pu retrouver un nouveau souffle après 2008.

Alors que l’humanité n’a jamais été aussi nombreuse et la production généralisée et socialisée, jamais les inégalités n’ont été aussi grandes, la planète aussi dégradée.

Le capitalisme a bien repris son souffle mais c’est sur la base d’une aggravation de ses contradictions d’origine.

En développant aussi ses propres fossoyeurs, comme disait déjà le Manifeste en 1848, la classe ouvrière, les peuples opprimés à travers le monde mais non plus comme au dix-neuvième siècle en les concentrant seulement dans de grandes usines (même si c’est encore le cas, surtout dans des pays dits émergents) mais dans des milliers de bureaux, de dépôts, de services où ils sont tout aussi concentrés mais encore plus socialisés et éduqués à la discipline collective du travail.

Cette classe ouvrière mondiale est bien plus jeune et féminisée et dernièrement, les femmes, la moitié de la population active, ce qui a bien évolué par rapport à l’époque de Marx et Engels, sont aussi devenues un facteur révolutionnaire avec des mouvements nouveaux et profonds contre le patriarcat en lien avec l’oppression sociale comme en ce moment en Amérique latine.

Alors, si le marxisme est même devenu un instrument utile à bien des analyses de penseurs, écrivains, artistes, cinéastes qui touchent de larges publics en dénonçant le système, c’est encore une marque de la révolte qui existe et à laquelle le marxisme donne des réponses en soulevant de nouvelles questions. Là-dessus, place donc au débat !

Monica Casanova