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Vendredi 23 novembre 2018, veille de manifestations importantes dans de nombreuses villes « pour en finir avec les violences sexistes et sexuelles », le NPA33 organisait une réunion-débat autour de la lutte pour le droit à l’avortement, son actualité brûlante et son histoire. L’occasion de revenir sur la longue histoire de cette lutte. Nous publions ci-dessous l’exposé introductif (cliquer sur les images pour les aggrandir).

  • Le droit à l’avortement : un droit encore à arracher pour près de la moitié des femmes (Isabelle Ufferte)
  • La contraception et l’avortement, des droits et des libertés chèrement gagnés par les femmes et les exploités (Monica Casanova)
  • Le bouleversement des années 60 et l’actualité du combat pour la contraception et l’avortement (Isabelle Ufferte)
  • Nous réapproprier nos corps et nos vies, par nos luttes de travailleuses et travailleurs (Monica Casanova)

Le droit à l’avortement : un droit encore à arracher pour près de la moitié des femmes

01 les femmes dcidentC’est en souvenir de 3 sœurs, militantes de République dominicaine assassinées à la machette le 25 novembre 1960 sur ordre du dictateur Trujillo, que le mouvement féministe a choisi de faire de ce jour une journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.

C’est aussi dans le cadre de cette journée que nous proposons de débattre de la lutte pour le droit à l’IVG et à la contraception, non seulement à partir de la situation aujourd’hui mais aussi en revenant sur la longue histoire de cette lutte.

Il y a 200 ans, Charles Fourier, précurseur du mouvement socialiste, écrivait « dans chaque société, le degré d’émancipation des femmes est la mesure naturelle de l’émancipation générale ». Ce à quoi Rosa Luxembourg, qui se définissait comme une « combattante prolétarienne de la liberté » répondait cent ans plus tard « Ceci est parfaitement vrai pour la société actuelle. La lutte de masse en cours pour les droits politiques des femmes est seulement l’une des expressions et une partie de la lutte générale du prolétariat pour sa libération. En cela réside sa force et son avenir ». Toute l’histoire du mouvement ouvrier l’atteste : les mouvements d’émancipation, les luttes démocratiques et sociales, ouvrières, ont toujours trouvé des femmes aux avant-postes aux côtés des hommes et c’est dans les périodes où la classe ouvrière était à l’offensive que les droits des femmes ont réellement avancé. Lutte contre l’exploitation et lutte féministe sont intimement liées.

Aujourd’hui, nous payons le prix fort de la crise du capitalisme et de l’offensive réactionnaire des classes dirigeantes, nous sommes les premières victimes du chômage, de la précarité, des bas salaires et des préjugés… De nombreuses femmes dans le monde sont exclues du droit à l’éducation, aux loisirs, à la culture, ne peuvent sortir où et avec qui elles veulent, habillées comme elles l’entendent… et n’ont pas accès à l’IVG, à la contraception, à vivre librement leur sexualité. En France, aujourd’hui, dans un des pays les plus riches et instruit du monde, 254 viols ou tentatives de viol ont lieu chaque jour ; une femme meurt tous les 2 jours et demi sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint.

Les réactionnaires de tous les continents et de toutes religions sont à l’offensive. Le pape a comparé le mois dernier l’avortement au recours à des « tueurs à gage », il l’avait cet été qualifié d’« eugénisme en gants blancs » et comparé avec le régime nazi et déjà en 2016 tenu des propos identiques. Partout, des réseaux lobbyistes pro-life puissants sont en croisade contre le droit à l’IVG. En Europe, on les retrouve en Pologne, en Hongrie, au Portugal, en Russie, en Espagne (où les mineures doivent encore obtenir l’accord de leurs parents) ou en Italie où bien que l’IVG soit légale depuis 40 ans, elle est le plus souvent inaccessible car plus de 70 % des médecins refusent de la pratiquer faisant valoir la « clause de conscience » (80 % à Rome). Ces réseaux sont également bien présents en France où on a pu entendre le président du syndicat des gynécologues, M. De Rochambeau revendiquer en septembre dernier son droit à ne pas pratiquer d’IVG, qualifiant l’avortement « d’homicide »… comme l’ont fait les médecins de l’hôpital de Bailleul en Sarthe où les IVG n’ont plus été pratiquées de janvier à septembre 2018 suite au départ à la retraite d’un médecin, les 3 autres faisant valoir la fameuse « clause de conscience » ! Sans parler de Marion Maréchal Le Pen qui demande le déremboursement de l’IVG ou des mouvements comme Sens commun, dont est proche Wauquiez (LR), qui militent ouvertement pour son interdiction.

02 monde avortement42 % des femmes dans le monde n’ont pas accès à l’avortement ou seulement dans des situations extrêmes comme le viol, les malformations fœtales ou l’inceste. Seuls 58 pays l’ont légalisé (dont 21 pays depuis 2000).

Pour prendre l’exemple de l’Amérique du Sud, il n’y a que 3 pays, l’Uruguay, Cuba et le Guyana où l’IVG est légale (ainsi que la Guyane, département français). Au Honduras, l’IVG est punie de 8 ans de prison ; au Salvador, des femmes victimes de fausses couches sont régulièrement accusées d’homicide aggravé et condamnées jusqu’à 30 ans d’emprisonnement, avant d’être pour plusieurs d’entre elles finalement libérées sous la pression de l’opinion mais plusieurs ont fait 10 ans et 15 ans de prison. Au Brésil, entre 500 000 et 1 million de femmes avortent clandestinement chaque année, 250 000 d’entre elles doivent être hospitalisées pour complications... et 200 en meurent.

En Europe, la Pologne, Chypre, Andorre, l’Irlande du Nord interdisent l’IVG sauf circonstances exceptionnelles... sans oublier le Vatican… A Malte il est totalement interdit sans exception. Mais même dans les pays où l’IVG est légale, ce droit est fragile.

Un renouveau des mobilisations face à l’offensive réactionnaire

Dans le monde entier, de Trump à Bolsonaro en passant par Salvini ou Orban, des gouvernements de droite extrême ou d’extrême-droite mènent des politiques réactionnaires, sexistes, homophobes, xénophobes… et combattent le droit à l’IVG.

Mais sur 03 argentine 2018tous les continents des millions de femmes et de nouvelles générations entrent en lutte. Une lutte qui a un caractère international, universel et conteste l’ordre établi, les pouvoirs, les Eglises de toute obédience, tous ceux qui cherchent à régenter la vie et le corps des femmes pour mieux imposer le pouvoir des classes dominantes sur l’ensemble de la société.  

Ces mobilisations sont le fait entre autres de très jeunes, comme en Argentine où on a vu des lycéennes et lycéens occuper massivement la rue lors du vote du Sénat. Et elles sont souvent mixtes, en particulier dans les jeunes générations qui font le lien entre lutte féministe et lutte sociale.04 black lives matter

Et même si l’affaire Weinstein a surtout mis en lumière la mobilisation de femmes de milieux privilégiés, actrices, réalisatrices… bien des mouvements touchent les femmes de milieux populaires comme en Amérique du Sud avec Ni una menos, ou issues de l’immigration telles aux USA les militantes à l’origine du mouvement Black Lives Matter

L’élection récente aux USA de députées femmes, jeunes, pour quelques unes précaires, issues de l’immigration latino, amérindienne, africaine ou palestinienne mais aussi de député.e.s gay et lesbienne, sont un écho de ce renouveau de la contestation sociale, du rejet par de larges couches de la population des préjugés sociaux, du racisme, du sexisme.

Ces lu05 rana plazattes s’inscrivent dans le prolongement de nombreuses luttes de femmes dans le monde pour les droits élémentaires qui leur sont contestés. Parmi elles, celle des ouvrières du Bangladesh refusant de continuer à mourir dans des ateliers vétustes pour les profits de CetA, Mango, Carrefour et autres multinationales après l’effondrement du Rana Plaza il y a 5 ans, qui avait fait 1200 victimes et plus de 2000 blessés. Leur révolte avait provoqué un mouvement international de solidarité. 

Ce sont aussi les luttes, en Afrique (et dans les pays d’immigration), de femmes contre l’excision, cette violence inouïe qui mutile les filles, leur clitoris, pour les empêcher d’éprouver du plaisir ! 200 millions de filles et de femmes dans le monde sont aujourd’hui excisées, 53 000 en France. Au Mali, elles sont 91% des femmes de 15 à 45 ans, 92 % en Egypte, 98% en Somalie.

Il y a aussi le renouveau de luttes de femmes en Inde contre la condition sordide qui est la leur, où encore aujourd’hui dans les campagnes des petites filles sont assassinées à leur naissance parce que filles, où sont fréquents les viols et les attaques au vitriol contre celles qui résistent.

Celle des jeunes femmes iraniennes qui brandissent leur voile au bout d’un bâton sur les places publiques bravant les religieux et tous ceux qui veulent les enfermer sous un voile. Autant d’aspirations, de luttes, de résistances et de révoltes qui se font écho et se nourrissent les unes des autres.

Les avancées pour le droit à l’avortement sont aussi, indirectement, le fruit de ces luttes 

  • 06 irlandeIrlande : immense mobilisation qui a conduit en mai 2018 à la victoire du Oui (68 %) au référendum sur la légalisation de l’IVG. Jusque là, l'avortement y était passible de 14 ans de prison.
  • Argentine : même si le Sénat a voté contre la légalisation de l’IVG (alors que la majorité de la population est pour), la campagne et la mobilisation massive de la population représentent en elles-mêmes une victoire, relançant le débat non seulement en Argentine mais dans toute l’Amérique latine.
  • Chili : en septembre 2017, des mobilisations importantes ont mis fin à près de 30 ans d’interdiction totale de l’IVG, mais il n’est autorisé qu’en cas de risque pour la vie de la mère, de viol et de non viabilité du fœtus
  • Pologne : Face à la mobilisation massive des Polonaises en octobre 2016 et un puissant mouvement de solidarité international, le parti au pouvoir Droit et justice, lié aux extrémistes catholiques, a fait volte face et renoncé à étendre l’interdiction de l’avortement aux cas de viol ou de malformation du fœtus. (même s’il est loin d’avoir abdiqué).

Ce combat est un combat international, démocratique mais aussi social car partout, ce sont les femmes des milieux populaires, les plus pauvres qui sont le07 chili 2017s premières victimes des législations rétrogrades et des obscurantismes. Elles n’ont ni les moyens financiers et matériels ni les informations pour se procurer des pilules abortives et encore moins se rendre dans des cliniques à l’étranger. La seule issue reste l’avortement clandestin, le recours à des potions dangereuses ou au « marché noir » de l’avortement souvent dans les pires conditions, sans anesthésie, sans suivi médical avec des risques innombrables pour leur santé et leur vie. Le recours à la contraception est tout aussi inaccessible pour de nombreuses femmes, pour des raisons économiques et du fait des pressions obscurantistes.

La lutte pour le droit à l’avortement et à la contraception est donc bien actuelle, et elle a commencé il y a bien longtemps.

La contraception et l’avortement, des droits et des libertés chèrement gagnés par les femmes et les exploités

La contraception et l’avortement avant l’avènement de la bourgeoisie : l’exception

Pendant toute l’Antiquité et le Moyen Age, le sort des femmes était terrible mais la contraception et l’avortement ont peu existé.

Depuis ce qu’Engels, le camarade de Marx a appelé la « défaite historique de la femme » avec l’apparition de la propriété privée et sa mise en esclavage par l’homme entraînant la naissance de la famille dominée par lui, les femmes, égales des hommes, sont devenues les objets passifs des hommes, infériorisées, enfermées au foyer dans leur rôle reproducteur.

Ainsi, à l’époque romaine, le pater familias décidait seul de la progéniture de sa femme légitime tout en faisant ce qu’il voulait avec des prostituées, des hétaïres, le mariage ayant depuis et encore toujours comme parallèle, l’adultère et la prostitution.

Au Moyen Age, ce sont les Églises, ici, l’église catholique ou protestante qui a ensuite tout régenté et imposé aux femmes de faire des enfants, d’être mères à tout prix, le fœtus étant un être de Dieu qui ne pouvait être tué. La femme et ménagère était une génitrice destinée à l’épouse d’un seul homme afin qu’il puisse être sûr de quelle était sa filiation et ses héritiers.

Au milieu du chambardement de la Renaissance, période de développement de la bourgeoisie, de foisonnement des idées, des t08 clitorisechniques et des sciences, dans tous les domaines dont l’économique et le culturel, des anatomistes curieux avaient dès 1559, réussi à définir puis à représenter avec précision les organes sexuels masculin et féminin, dont le clitoris, défini en 1559 par Mateo Realdo Colombo, dont le disciple Falloppio l’a étudié, dessiné en 1615 par Giulio Cessari

Mais pour l’Église, l’acte sexuel ne devait servir qu’à la reproduction. Le clitoris, organe du plaisir féminin devait, si ce n’est être oublié voire supprimé, ne jamais servir car le sexe sans reproduction était ce qu’ils appelaient -et appellent encore !- l’onanisme c’est-à-dire la masturbation, du plaisir solitaire absolument interdit car « vicieux », surtout pour la femme. De par les religions impure car pécheresse, celle qui en plus prend du plaisir sans concevoir est une « paresseuse » qui ne remplit pas son devoir de mère !

Jusqu’à la fin du XVIII et début du XIXème siècle, en France, la natalité était très forte mais la mortalité aussi. Pour 3 causes qui touchaient essentiellement les plus nombreux et les plus pauvres: la misère dont la famine, la guerre et les épidémies. 1 enfant sur 2 parvenait à l’adolescence. Dans ces circonstances, l’avortement et la contraception étaient rares car ils n’étaient pour ainsi dire pas nécessaires.

L’avortement et la contraception à l’ère bourgeoise : les premiers défenseurs du plaisir contre les malthusiens

Mais à la fin du XVIII, la révolution française a mis fin à la domination de la noblesse, la bourgeoisie industrielle a pris sa place et a développé le capitalisme et la classe ouvrière. Le développement des connaissances, les progrès scientifiques, le développement économique au lendemain de la révolution française ont amélioré les conditions de vie et de santé d’une fraction de la population, la mortalité infantile a commencé à diminuer, il a commencé à y avoir plus de naissances que de morts, ce qu’on a appelé la « transition démographique ». Les grandes pestes n’existaient plus. Il y a eu moins de guerres en Europe et plus de colonisations lointaines.

Mais ce09 flora tristan développement s’est fait à un prix insoutenable pour les travailleurs et en premier lieu les femmes. Parmi les premiers à contester le capitalisme, pas forcément issus de la classe ouvrière, ont été les socialistes utopistes : Saint Simon, Flora Tristan, Fourier ou Robert Owen. Militants de l’émancipation, ils ont été les premiers à relier l’oppression à l’exploitation capitaliste, à imaginer une société basée sur l’entraide, l’organisation collective et à tenter d’en construire les prémisses, reflet d’une classe ouvrière qui se développait aux antipodes de la recherche du profit et de l’égoïsme bourgeois.

Marx et Engels s’en sont nourris, ont repris certaines de leurs formules comme celle de l’ouvrière Flora Tristan : « La femme est la prolétaire de l’homme » qui en appelait aux femmes et aux hommes pour se débarrasser de l’exploitation 

La population de la France n’a alors cessé de croître : de 27 millions d’habitants en 1801à 36 millions en 1851. C’est à partir de cette période que des femmes vont chercher à maitriser leur fécondité, à chercher à avorter.

Le développement économique, les progrès techniques, économiques, médicaux dus à l’industrialisation et à l’urbanisation du capitalisme permettent que la population augmente. On découvre de nouvelles techniques abortives, non plus seulement des potions et des moyens mécaniques (éponges, voire des coups sur le ventre), mais instrumentaux comme on va le voir plus avant.

Les patrons vont avoir besoin d’une main d’œuvre féminine hors du foyer familial, dans les usines. Ces ouvrières et employées ne peuvent et ne veulent avoir trop d’enfants à nourrir ni s’absenter du travail pour cause de grossesse même un jour, tant les salaires sont bas.

Du coup, le désir se fait sentir chez les femmes de toutes conditions de ne pas passer leur vie en couches.

Face à l’augmentation de la population pauvre et ouvrière, en 1798, un pasteur anglais réactionnaire, Malthus, défendra lui l’idée que « tout le monde ne peut pas participer au banquet de la vie ». Pour lui, il y avait trop d’hommes (pauvres, bien sûr) et pas assez de subsistances. Jean-Baptiste Say, le patron et économiste que Marx a étudié, ne dit pas autre chose quand il s’inquiète en ?de la montée de la démographie de la classe ouvrière. Il écrit : « Les institutions les plus favorables au bonheur de l’humanité sont celles qui tendent à multiplier le capital. Il convient donc d’encourager les hommes à faire des épargnes plutôt que des enfants ». Ce qui n’empêchait pas que les mêmes combattaient férocement l’idée même de contraception ou d’avortement ! Les pauvres devaient pratiquer le coït interrompu ou abandonner leurs enfants…

Une nécessité, la première légalisation de l’avortement, l’avortement thérapeutique

Des médecins audacieux vont entreprendre alors d’aider les femmes dont des femmes de milieux populaires à « tromper la nature » comme on disait, avec des contraceptifs et des avortements.

Entre 1846 et 1850, une jeune femme, Julie Gros, victime d’un bassin trop rétréci, subira 3 avortements par 3 obstétriciens différents pour lui épargner une césarienne mortelle à l’époque, bien sûr stigmatisés par la presse naissante. Ces médecins assumeront les avoir pratiqués en défendant dès 1843 devant l’Académie de médecine « l’avortement thérapeutique », c’est-à-dire l’avortement pour cause de danger pour la vie de la mère. Ils défendront la femme adulte utile à la société, son droit à décider, plutôt qu’un enfant qui sera une charge... Il s’ensuivra un long débat à l’Assemblée (uniquement composée d’hommes de la bourgeoisie riches) qui finira par le légaliser en 1852.

Un acquis mais au milieu d’une grande hypocrisie car en même temps, les moyens de contraception masculine existaient (capotes appelées « baudruches »), tolérés pour ces messieurs qui en avaient les moyens pour les protéger des maladies vénériennes dues à leur fréquentation des prostituées. Mais pas question de contraception féminine, ni même d’une quelconque éducation sexuelle assimilée à de la « pornographie » alors qu’on mariait encore des adolescentes avec des vie10 Tour dabandonillards !

De plus en plus de femmes célibataires mais aussi mariées ont continué à avorter en mettant en péril leur vie, en introduisant de l’eau savonneuse dans leur utérus, en se frappant le ventre pour tuer le bébé… Et aussi à abandonner leurs nouveau-nés. Il a existé jusqu’en 1904 des tours d’abandon, des armoires cylindriques tournantes encastrées dans le mur des hospices destinées à recevoir le petit corps de bébés les enfants abandonnés secrètement par des mères anonymes désespérées. 

Avant la Commune de Paris, le nationalisme exacerbé par la guerre contre l’Allemagne entraîna une campagne acharnée contre l’avortement. Les patrons et les curés préféraient les ouvriers chargés de famille « plus consciencieux, stables » que les célibataires toujours prêts à se révolter.

Au lendemain de la guerre de 14 et de ses innombrables morts dans les tranchées, un abbé écrit : « Il faut combler les vides faits par la mort si on veut que la France reste aux Français et qu’elle soit assez forte pour se défendre et prospérer ». Ces bourgeois, indignés à l’idée comme a écrit l’un « que du sang étranger tombe dans les sillons de notre terre » étaient les mêmes qui exigeaient que les femmes violées par des soldats gardent leurs bébés !

Les premier-e-s militant-e-s pour le droit à la maternité consciente et pour le droit à disposer de son corps

Mais les progrès techniques, le développement de la classe ouvrière de plus en plus féminisée qui prend peu à peu conscience d’elle-même, l’évolution de la société et des mentalités, font qu’inexorablement, l’idée de pourvoir décider de faire ou non des enfants, ce qui veut dire aussi être en capacité de vivre pleinement, consciemment sa vie affective et sexuelle, fait son chemin.

Dès la fin du XIXème, des anarchistes et/ou socialistes des deux sexes défendent l’idée que les couples doivent cesser de faire des enfants non désirés, qu’ils peuvent contrôler leurs naissances.

Alors que la France développe ses colonies dans le monde, en Afrique, en Asie, des groupes qu’on va appeler « néo-malthusiens » (NM) défendront le droit à la contraception féminine et même, dans les cas les plus extrêmes, le droit à l’avortement avec le slogan : « Assez de chair à canon, assez de chair à patron, assez de chair à plaisir ! ». 

11 Grve des ventresIls défendent « la grève des ventres » selon l’une d’entre elles, Marie Huot. Parmi eux, certains pensent qu’il n’y a pas assez pour nourrir tous les enfants. D’autres veulent que tous les enfants naissent et vivent dignement et que leurs parents puissent avoir une vie sexuelle épanouie. Comme ils disaient, pour « remplacer l’humanité de hasard par la population voulue ».

L’un des premiers et principaux militants NM, inspiré par Owen et des Anglais sera Paul Robin. Professeur ami de Marx puis de Bakounine, membre un temps de la 1ère Internationale, condamné pour avoir soutenu la Commune, il créa d’un orphelinat pratiquant des méthodes éducatives modernes à Cempuis. Là, enseignants, élèves, personnel et même des sans abri vivaient ensemble et décidaient des activités éducatives et de loisir. Naturiste, il créa la première colonie de vacances, sa maison secondaire à la mer... Son slogan était : « Bonne naissance, bonne éducation, bonne société ». Destitué pour ses innovations libératrices, il se consacra jusqu’à la fin de sa vie à la12 organes sexuels Planche défense de ses idées.

Entre les années 1890 et 1916, les organisations NM furent diverses. Toutes faisaient une propagande intense pour la contraception avec des tracts, des brochures, des conférences réunissant jusqu’à 2000 personnes dont beaucoup de femmes. Certaines vendaient aussi discrètement des préservatifs masculins et des éponges, ancêtres des diaphragmes féminins. Ils expliquaient comment les appliquer et se faisaient condamner pour pornographie quand on découvrait leurs planches représentant les organes sexuels… et au passage, des « appareils d’hygiène intime et de préservation », c’est-à-dire, des contraceptifs et des instruments pour avorter. 

Plus tard, en particulier grâce au militantisme acharné d’une infirmière américaine, Margaret Sanger, des cliniques avec des médecins et des infirmières dédiés ont vu le jour comme la première qu’elle fonda en 1916 dans le quartier très pauvre de Brooklyn.

Ce mouvement finit par être connu dans la classe ouvrière. Des groupes ouvriers furent créés dans le Nord, à Auxerre, dans de petites villes ouvrières, hébergés par les Bourses du travail, en particulier la Fédération des Bourses du Travail d’Yvetot, un CGTiste radical. Un cordonnier, Eugène Humbert, créa un journal NM appelé « Procréation consciente ». 13 Gnration consciente

Ainsi sont nés dès 1908 les GONM (Groupes Ouvriers Néo-malthusiens) où il arriva que des syndicats entiers adhèrent. L’un de leurs principaux leaders fut un jeune garçon coiffeur, Gustave Cauvin, auteur d’une sorte de manifeste NM, « Aux travailleurs et à leurs compagnes » sur la base duquel ils présentèrent même des candidatures aux Législatives. Il écrit : « Aux jeunes filles à qui de sots préjugés refusent le droit d’aimer librement, sincèrement, hors de la légalité, nous conseillerons de faire échec aux lois naturelles en rendant leur amour infécond » (grâce aux préservatifs).

Contrairement aux autres groupes NM, les GONM mettaient l’accent sur la restriction des naissances pour une meilleure vie, la dignité des ouvrières et des ouvriers. Ils défendaient ce qu’ils appelaient « la grossesse facultative », non contre la maternité mais pour le droit des enfants à naître désirés. Cauvin emmena même une famille nombreuse et misérable exiger un logement chez un bourgeois repopulateur ou « lapiniste » comme on disait, qui l’a aussitôt chassée !

Alertes amis de la vie et de la joie, ils furent de précoces adeptes du cinéma naissant grâce auquel, lors d’après-midi ou soirées éducatives dans les Maisons du peuple, ils dénonçaient les guerres, la prostitution et le fléau de l’alcoolisme qui étaient aussi de leurs combats. Elles finissaient souvent par des jeux de mots contre la police, des tours de chant (l’Inter, la Jeune G14 madeleine pelletier 1arde…), du théâtre, des lâchers de ballons ou des bals que bien sûr les bourgeois et leur presse de vieilles lunes et vieux pervers complexés décriaient avec rage. On le sait par des rapports de police qu’ils ont fait faire et qui ont valu à ces GONM de nombreuses arrestations et amendes voire de la prison.

Une des militantes les plus remarquables de ce courant fut Madeleine Pelletier. 

Issue d’un milieu populaire, devenue médecin psychiatre envers et contre tout, elle était matérialiste, adepte de Freud, elle avait horreur des féministes bourgeoises « en décolleté » qui méprisaient les militantes travailleuses comme elle. Elle défendit souvent à contre-courant les droits des femmes dont l’avortement, tant chez les socialistes que chez les anarchistes puis les communistes. Elle mourut considérée comme folle en asile pour avoir pratiqué un avortement en 1939…

Ce mouvement libérateur portait la marque du mouvement ouvrier montant dont il était en grande partie issu. Il était le reflet de l’organisation de plus en plus de femmes au sein des syndicats et dans des grèves où elles s’affirmaient dans la vie sociale et politique.

La guerre de 1914 va le couper net. Beaucoup, syndicalistes radicaux, seront envoyés au front ou emprisonnés.

Les acquis d’une révolution ouvrière

La Révolution russe fut initiée par une manifestation d’ouvrières le 8 mars 1917 et menée par un parti ouvrier révolutionnaire, le parti bolchevik contre l’ordre bourgeois dans son ensemble. 15 8 mars 1917

Sous l’impulsion de femmes prolétaires, qui en luttant ont acquis le droit de vote et bien au-delà, elle imposa de façon profonde et avant tous les pays capitalistes les droits les plus élémentaires des femmes : droit au mariage civil (donc, la fin du pouvoir masculin dans le couple imposé par le mariage religieux), droit à la contraception et à l’avortement, dès 1919, à l’union libre et l’aide de l’État à la femme enceinte, seule et à ses enfants jusqu’à leur majorité.

Le gouvernement des Soviets décréta dès 1918 la religion « affaire privée », la religion orthodoxe emprisonnant les militants athées. Il respecta toutes les traditions et coutumes des peuples de ses anciennes colonies à condition qu’elles ne portent pas entrave aux femmes et aux filles. Il s’opposa donc, en essayant d’agir par la persuasion et la conscience, à l’imposition du travail domestique et du voile aux femmes, pour en finir avec les mariages précoces liés au système de la dot. Il essaya, sans en avoir le temps, encerclé par les armées capitalistes, de créer les conditions d’une prise en charge collective des enfants avec des crèches, cantines et laveries pour en finir avec le travail domestique des femmes. Il dépénalisa l’homosexualité, ce qui ne s’était fait nulle part ailleurs dans le monde.

Alexandra Kollontaï, première ministre femme au monde, instaura le droit à l’avortement surtout pour protéger les femmes e16 Kollontait freiner l’abandon d’enfants en nombre durant la guerre et la révolution. L’avortement, très répandu, se fit alors dans des hôpitaux publics, les femmes enceintes étaient payées 2 mois avant et 2 mois après l’accouchement qu’il fût le produit d’un mariage ou d’une union libre : quelle différence avec le France à la même époque ! On va le voir.

Kollontaï fut aussi une défenseure du droit au plaisir et à l’amour sexuel en dehors du mariage, ce qu’elle a appelé « l’Eros ailé » qui s’exprime dans un amour fait de complicité dans la lutte, « l’amour camaraderie ». Elle fut soutenue par Trotski et Lénine qui voyaient déjà dans les ricanements sournois de la bande à Staline sur sa vie soi disant dissolue, en fait sur sa liberté, la marque du vulgaire conservatisme de la bureaucratie arriviste. Comme Lénine l’a confié à Clara Zetkin : « On considère le travail d’agitation et de propagande parmi les masses féminines, leur éveil à la révolution, comme une chose secondaire, qui ne regarde que les femmes… Qu’y a-t-il à la base de cette attitude fausse ?... Rien d’autre que le mépris de la femme et de ses capacités… On peut malheureusement dire de nombre de nos camarades : « grattez le vernis du communiste et le philistin (le prétentieux hypocrite) apparaît » Naturellement, il faut gratter à l’endroit sensible : sa mentalité vis-à-vis des femmes »

La vague révolutionnaire qui s’ensuivra marquera le monde. Ce sera, en France, la naissance du PC et de la CGT-U, une période de grèves. Mais aussi où les femmes qui ont travaillé en remplaçant pour la première fois massivement les hommes comme dans les usines de guerre, ne seront plus les mêmes femmes au foyer d’avant-guerre. Ce sera l’explosion des lieux de fête et de loisir dans les grandes villes où elles affluent. Plus de femmes s’instruisent et des écrivains se font écho de leurs désirs de liberté comme Victor Margueritte dans « Ton corps est à toi » ou « La Garçonne ».

Le coup de bâton de l’après-guerre

La bourgeoisie réprimera les grèves parfois insurrectionnelles issues de la vague révolutionnaire après la Révolution russe. Ce sera le triomphe de la réaction avec la Chambre Bleu horizon qui dictera des lois très dures contre la contraception et l’avortement en 1920 et en 1923, résultat de 10 années (interrompues par la guerre) de débats dans les Chambres de députés.

Ces lois interdisent toute forme ne serait-ce que d’information sur la contraception et punissent de fortes amendes et jusqu’à 5 ans de prison les avortements. Elles vont même jusqu’à encourager les femmes à dénoncer leurs avorteurs.

La gauche (la SFIO ou PS), qui allait constituer avec les Radicaux le « Cartel des gauches » a bien mollement refusé de voter ces lois. Le PC, parti contestataire mais marginal, non gouvernemental tant la bourgeoisie craignait ses origines prolétariennes mais avec de députés d’opposition, a même un temps ouvert les colonnes de ses journaux à des NM qui ont réapparu après la guerre.

Le rôle contre-révolutionnaire du stalinisme dans les années 30-40

Mais en 1935, Staline à la tête de la bureaucratie, décrète un nouveau cours droitier aux PC. Face à la dangereuse montée du mouvement ouvrier pour elle d’un côté et du fascisme de l’autre, il se lance dans la politique des Fronts Populaires. Pour cette alliance avec la17 affaire femmes démocratie bourgeoise, il se débarrasse de toutes les mesures portant l’empreinte de la révolution, de l’émancipation des masses et des femmes, dont l’avortement. C’est le début de sa propagande nataliste et de retour de la femme au foyer avec Thorez et Jeannette Vermeersch.

Les femmes ne pourront compter ni sur les réformistes ni sur les staliniens pour défendre leurs droits. Quand le mouvement ouvrier et démocratique sera vaincu, Pétain, avec la même Chambre du Front Populaire à quelques exceptions près, va édicter en 1938 des Décrets lois puis en 1942 un Code de la Famille encore plus réactionnaires, qui vont jusqu’à punir l’avortement de la peine de mort, comme on le voit dans le film de Chabrol « Une affaire de femmes », basé sur une histoire vraie. 

 

Le bouleversement des années 60 et l’actualité du combat pour la contraception et l’avortement

Après des années sombres pour le mouvement ouvrier et le mouvement féministe, les années 50 et plus particulièrement 60 et 70, vont être des années de renouveau.

18 simone de beauvoirEn 1949, un livre va provoquer un électrochoc et un scandale Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir. 

Elle y pose les bases du féminisme moderne, décrit les rapports entre les sexes, met des mots sur les choses, le désir, le plaisir, le corps, réclame la libéralisation de la contraception et de l’avortement, dénonce la violence des rapports sexuels et l’oppression faite aux femmes. Tout ce que le monde compte de biens pensants s’insurge. Le Vatican en interdit sa lecture aux fidèles. François Mauriac, l’auteur pourtant de Thérèse Desqueyroux, qui a si bien raconté la chape de plomb qui écrase tant de femmes, écrit au son sujet du deuxième sexe « nous avons atteint les limites de l’abject ». Quant au journal L’Humanité, une journaliste y écrit « J’imagine le franc succès de rigolade qu’obtiendrait Mme de Beauvoir dans un atelier de Billancourt, par exemple, en exposant son programme libérateur de "défrustration"». Comme si l’émancipation des femmes, leur contrôle sur leur propre vie et leur sexualité, n'était pas partie prenante du combat de la classe ouvrière contre l'exploitation et l'oppression ! Il faut dire que jusqu’aux années 60, le PCF dénoncera le contrôle des naissances comme un « vice de la bourgeoisie ».

19 angela 1972 sortie tribunalMais les années 1960 sont des années de profonde contestation. Des femmes, des hommes, des jeunes, osent dire leur aspiration à des relations humaines et sexuelles libérées de la crainte de tomber enceinte et de la morale religieuse et réactionnaire glorifiant la famille et la soumission des femmes. Le combat féministe est partie prenante d’une contestation sociale générale tel aux USA le mouvement pour les droits civiques et les luttes contre la discrimination des noirs et la révolte contre la guerre au Vietnam. Une même contestation que portent des militantes comme Angela Davis. 

En France, mai 1968 va être un moment d’accélération de la lutte pour l’égalité des sexes, partie intégrante de la contestation d’une société d’oppression et d’exploitation contre laquelle se révolte la jeunesse.

C’est cette lutte qui va contraindre les gouvernements aux USA comme en France à transformer la législation dans les années 60 et 70. Ironie de l’histoire, ici, ce sont des parlements de droite qui légaliseront la pilule et l’avortement, la pleutrerie des partis de gauche leur laissant l’initiative.

La bataille de la pilule…

La pilule contraceptive va être le fruit d’un long combat politique et scientifique. En 1956 enfin, une première génération de pilule est mise au point par un biologiste et endocrinologue américain, anticonformiste et militant, le Dr Gregory Pincus. 

20 Gregory PincusDans les années 30, il avait été démis de ses fonctions à Harvard pour avoir osé faire des recherches sur la fécondation in vitro et réussi ainsi la fécondation d’une lapine, ce qui était une sacrée remise en cause de la main de Dieu. Suite à cela en 1951, il ouvre un centre de recherche à Boston pour travailler sur les hormones sexuelles et rencontre des militantes féministes qui contribueront à financer ses recherches sur la possibilité de bloquer l’ovulation, en particulier une scientifique et riche héritière Katherine McCormick qui met à sa disposition une partie de sa fortune...  

Mais il faudra attendre 1967, pour qu’en France un ancien gaulliste, Lucien Neuwirth, fasse voter la légalisation de la pilule contraceptive. Même si du fait de nombreux freins administratifs, la loi ne sera appliquée qu'à partir de 1972 (et la pilule remboursée qu’en 1974). A l'Assemblée, les réactionnaires s'étouffent, Neuwirth est traité de « malfaiteur public ». Le pompon revient sans doute à Jacques Hébert, médecin, gaulliste lui aussi, qui déclare « Nous avons le devoir, nous qui sommes, en tant que législateurs, responsables devant les générations futures du patrimoine biologique des Français, de ne pas autoriser la diffusion de procédés ou de produits dont les conséquences lointaines sont encore très mal connues. Le risque d’une modification légalement autorisée des gamètes dépositaires du patrimoine héréditaire de l’espèce est d’une extrême gravité pour cette espèce… Une flambée inouïe d’érotisme entretenue et attisée par la propagande politique - aussi bien d’ailleurs de la majorité que de l’opposition - en faveur des techniques anticonceptionnelles hormonales menace notre pays ».

C’est en effet une révolution, qui permet enfin aux femmes… et aux hommes de dissocier sexualité et reproduction. Mais ce n’est qu’une étape de la lutte.

Intensification de la contestation21 MLF

Le 26 août 1970, sous l’Arc de triomphe, une délégation de femmes va déposer une gerbe sur la tombe du soldat inconnu, sur les banderoles : « il y a plus inconnu que le soldat inconnu, sa femme » et « un homme sur deux est une femme »… L’initiative va mettre sous les projecteurs un nouveau mouvement, le MLF, «Mouvement de libération de la femme», s’inspirant du mouvement américain Women’s Lib qui va fédérer de nombreuses militantes de différents courants.

La contestation s’organise. A l’Assemblée des militantes vont aller jeter des foies de veau dégoulinants à la tribune où siège le professeur Jérôme Lejeune, généticien catholique, président de Laissez-les vivre, adversaire farouche du droit à l’avortement.

Du « Manifeste des 343 » à la légalisation de l’avortement

22 manifeste 343Le 5 avril 1923 CharlieHebdo1971 343Salopes71 parait dans le Nouvel observateur, un manifeste signé de 343 femmes : « Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples.
On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l'une d'elles. Je déclare avoir avorté.
De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l'avortement libre
 ».

La Une de Charlie hebdo la semaine suivante soutient le manifeste, avec une caricature de Debré connu pour ses positions natalistes. 

Cette Une donnera son surnom au texte : le manifeste des 343 salopes.

Dans la foulée des manifestes identiques sont publiés en Allemagne. En France 100 médecins signent un texte assumant de pratiquer des avortements.

24 proces de bobigny 1972 En 1972, a lieu à Bobigny le procès de Marie-Claire, lycéenne de 16 ans violée, trainée en justice pour avoir avorté ainsi que sa mère et trois autres femmes qui l’ont aidée. Gisèle Halimi, jeune avocate, et Simone de Beauvoir vont faire de ce procès un réquisitoire pour la légalisation de l’avortement, une campagne politique qui va transformer la situation, obtenant leur relaxation. 

En prononçant le verdict, le procureur rappelle une loi de 1881 qui interdit aux journalistes de publier les débats sur l’avortement, précaution vaine. Françoise Giroud dans L'Express met au défi qu'on la poursuive. Aucun journaliste ne sera inquiété.

Les années qui suivent voient la contestation s’organiser, de nouveaux mouvements se créer, tels en 1973 le mouvement Choisir et le MLAC, mouvement pour la libération de l’avortement et de la contraception. Cette année là un premier texte en faveur de l’IVG est présenté à l’Assemblée par le gouvernement Pompidou mais est rejeté.

En 1974, pour la première fois dans l’histoire française, une femme ose être candidate à la présidentielle. C’est Arlette Laguiller, une travailleuse, jeune révolutionnaire, membre par ailleurs du MLAC, qui vient de diriger une longue grève au Crédit Lyonnais.

25 veil parlement 74Le 26 novembre 1974 enfin, Simone Veil, jeune ministre de Giscard, présente le projet de loi légalisant l’avortement dans une ambiance d’hystérie et de haine de tout ce que les bancs comptent de réactionnaires qui mêlent insultes misogynes et antisémites. 

La loi est finalement adoptée par 284 voix contre 189 et entre en vigueur le 17 janvier 1975… Elle autorise l’avortement jusqu’à 10 semaines de grossesse. Mais c’est une loi « provisoire », la pénalisation de l'avortement n'est suspendue que pour une durée de cinq ans ! Il faudra attendre le 31 décembre 1979 pour que l'avortement soit définitivement légalisé. Il ne sera remboursé qu’en 1983. Et ce n’est qu’en juillet 2001 que le délai sera allongé à 12 semaines (14 semaines d’aménorrhée) et l'autorisation parentale pour les mineures supprimée. 

Un combat que le mouvement syndical mettra longtemps à intégrer

C’est donc ironiquement une partie de la droite qui portera en France les premières lois les plus importantes pour le droit à la contraception et à l’IVG…

Et non seulement les partis de gauche institutionnels mais le mouvement syndical resteront longtemps à l’écart de ce combat. A part les révolutionnaires, les féministes trouveront peu d’appui pendant une longue période, certains les accusant de diviser le prolétariat. Le 1er mai 1976, les militantes du MLF sont par exemple gentiment reléguées en fin de cortège.

C’est essentiellement sous la pression des militant.e.s d’extrême-gauche que les syndicats s’empareront progressivement de cette question.

Les réactionnaires n’ont jamais désarmé

La légalisation de l’avortement est un changement fondamental pour les femmes, mais outre les restrictions de la loi, son application a dès le début été à géométrie variable : centres d'IVG pas assez nombreux, insuffisamment pourvus en locaux et en personnel et ne pouvant répondre à la demande, sans parler des médecins refusant de pratiquer des IVG… 

26 MLACFaire respecter la loi n’a jamais cessé d’être un combat : pour imposer aux directions hospitalières l’ouverture de centres IVG, l’embauche de médecins acceptant de pratiquer des avortements, pour combattre les commandos anti-IVG qui venaient s’enchainer aux portes des services (en 1990 l’un d’eux s’attaque pour la 1ere fois à la maternité des Lilas). Ces commandos cherchent à marquer l’opinion à grands renforts de photos chocs et de mensonges, s’opposant physiquement à l’avortement des femmes jusque dans les couloirs des services… en même temps qu’aux USA des médecins pratiquant l’IVG sont tués par des militants pro-life.

En 1995, le Pape Jean-Paul II publie une encyclique qui condamne les législations sur l’avortement et les États « tyrans » qui le légalisent « violant le droit à la vie ». La même année il faut une mobilisation militante pour que le gouvernement Juppé et son ministre Toubon finissent par retirer les crimes des anti-IVG de la loi d’amnistie qui suit la présidentielle.

En 1998, la chef de service de gynécologie - obstétrique de Bondy (93), dénonce le manque d’information et de prise en charge des adolescentes chez qui on compte près de 10 000 grossesses non désirées chaque année ! En 1999, c’est le chef du même service à Strasbourg qui dénonce la « réponse insuffisante du service public » les difficultés d’accès et les mauvaises conditions d’accueil à lIVG pour « les patientes les plus démunies ».

Et ce n’est qu’en 2016 que sera supprimé le délai minimal de réflexion d’une semaine.

27 priere bxMais les anti IVG n’ont jamais désarmé comme le montre les offensives d’organisations comme SOS tout petits de Xavier Dor ou Les survivants, les prières de rues telles à Bordeaux devant la cathédrale Saint-André (ici en 2013 sous les cris de « priez pour nous, on baise pour vous » et « gardez vos rosaires loin de nos ovaires ») ou le soutien dont bénéficient des réseaux intégristes tel celui de Juppé à Saint-Eloi à Bordeaux... 

Pour les camarades qui ne l’auraient pas vu, on ne peut que conseiller de regarder le documentaire qui est passé sur Arte il y a quelques mois « Avortement, les croisés contre-attaquent » disponible sur Dailymotion.

 

Nous réapproprier nos corps et nos vies, par nos luttes de travailleuses et travailleurs

Loin d’être un progrès linéaire, l’histoire de l’avortement et de la contraception a été agité, intimement lié au combat du mouvement ouvrier, un combat de femmes et d’hommes de progrès pour que les avancées techniques et médicales servent aux femmes, un combat difficile contre l’ordre établi, ses institutions religieuses et laïques obligeant la femme à être une simple reproductrice, propriété de l’homme.

C’est un combat des femmes bien sûr en premier lieu mais tout autant de leurs compagnons, amis, pères, fils car les uns et les unes ne peuvent être libres et émancipés sans les autres.

Ainsi, on est plus ou moins passé d’une contraception protectrice à une contraception pour le plaisir, d’un avortement pour des raisons de salubrité et de misère à un avortement le moins fréquent mais le plus conscient possible, contrôlant les naissances.

Cette histoire demeure largement pour une part méconnue parce que la sexualité est le dernier un domaine dans lequel l’émancipation se fait, le « continent noir », tabou. C’est dans l’intime qu’il est le plus difficile se débarrasser des préjugés, des blessures d’une société qui fait violence dès le plus jeune âge à notre nature humaine profondément sociale en lui imposant le chacun pour soi, la jungle capitaliste.

De plus, depuis les attentats et guerres des années 2000, le retour des religions et de l’ordre moral ont amené les théories du relativisme culturel qui ne défendent pas la liberté à disposer de son corps pour toutes les femmes, qui minimisent voire contestent le rôle oppresseur des religions et justifient ainsi la couverture du corps des femmes, les ramenant à être des objets sexuels définis par rapport à la virginité, au mariage et à la procréation.

En plein XXIème siècle, de plus en plus de jeunes filles doivent se faire recoudre l’hymen ou faire des tests de virginité… Il y a plus de médecins qui refusent de pratiquer des avortements ou des pharmaciens qui ne vendent pas de contraceptifs, comme à Salleboeuf par exemple…

28 marche contre trumpNous défendons l’indépendance économique de la femme, qu’elle ne soit pas obligée de se marier ou de se prostituer pour vivre. Et le droit à disposer de son corps entier et non mutilé, de décider ou non de la maternité, de pouvoir « jouir sans concevoir » comme on disait en 68, contre tous ceux comme les Églises ou les Trump qui veulent constamment remettre en cause les acquis de luttes constantes. 

On l’a vu, à ce jour, le droit à la contraception et à l’avortement sont loin d’être un acquis pour toutes les femmes. En France comme dans le monde entier, les attaques contre les services publics de la santé, de l’éducation, de la prévention, les coupes sombres dans les budgets sociaux, des associations féministes, ne pourront être combattues par les femmes seules. Elles ne peuvent affronter seules le poids des Églises et des États au service des capitalistes.

Aujourd’hui, nous sommes en capacité comme jamais de décider de notre santé, de nos relations physiques et intellectuelles, de nos plaisirs, en toute conscience, d’être des Cauvin, des Pelletier modernes avec des moyens bien supérieurs à leur époque en termes de culture, de communication, d’organisation.

Pour être libres, il faut nous approprier les richesses et le contrôle de la société en l’arrachant aux parasites qui en plus, nous assènent que nous sommes responsables de notre nombre, de notre misère.

Le combat pour ces droits démocratiques et sociaux fondamentaux que sont la contraception et l’avortement est un combat de tous les travailleurs. Le mouvement ouvrier a été et peut seul être porteur de la perspective profondément révolutionnaire de renverser ce système d’oppression, de barbarie, pour une société de libres rapports humains même les plus intimes, débarrassés de toute appropriation privée.