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Lors de cette campagne présidentielle, nous avons présenté un ouvrier, militant anticapitaliste. Dans nos réunions, dans nos meetings, dans notre campagne plus largement, on nous demande ce que nous voulons faire si nous arrivons à détruire le capitalisme, ce qu'il faut faire pour y arriver.

Lorsque Philippe parle d’un outil pour faire nous-mêmes de la politique, nous, ceux d’en bas, non seulement répondre aux coups qui nous sont donnés mais montrer qu’il est possible de tout changer nous, les exploités, un exemple de ce que cela pourrait être nous est donné par les bolchéviks pendant la révolution de 1917.

Ce parti a été l'instrument de la conquête du pouvoir par les travailleurs, et c’est à ce titre que cette expérience unique nous intéresse, bien sûr en tenant compte que nous ne sommes pas du tout dans le même contexte.

Il y a une nécessité aujourd'hui, en tant que militants révolutionnaires, de revenir sur ces événements et sur la politique du parti bolchévik. Le stalinisme a en effet fait du marxisme sa négation, d'une étude scientifique et de la compréhension des faits et de leurs relations, il l’a transformé en idéologie doctrinaire et totalitaire. Staline sera d'ailleurs lui-même la négation de la révolution d'octobre comme on le verra dans le prochain topo.

Pour se dégager des caricatures qui ont été faites de la révolution de 1917 (parti infaillible et unique avec son chef, coup d’État violent d’octobre…), il nous faut nous repencher sur la révolution russe de 1917. Cela nous permet notamment de voir ce qu'a pu être le lien entre les travailleurs et un parti révolutionnaire, lien qui va dans les deux sens : le parti influençant la politique des travailleurs, et l'activité révolutionnaire démocratique des travailleurs influençant la politique du parti.

Lors de cet exposé, nous vous parlerons de l'année 1917 où deux révolutions ont eu lieu coup sur coup. Nous essayerons de montrer pas à pas quelle fut la politique des révolutionnaires à la lumière des événements, et comment, grâce à la méthode de Lénine, en menant des débats à la lumière d'une lutte des classes portée à son paroxysme, a été possible la première expérience de pouvoir des travailleurs menée par un parti ouvrier révolutionnaire moderne, de masse.

Dans une première partie, nous parlerons de la révolution de février 1917, de l'abolition du tsarisme et des évènements politiques qui l'ont suivie jusqu'à la tentative de coup d'État réactionnaire d’août 1917, et ensuite, on présentera la révolution d'octobre et la prise de pouvoir par les travailleurs en Russie.

Après 1905...

Après 1905, le tsarisme va réussir à opérer un mélange habile de concessions (Douma législative, promesse du suffrage universel) et de répression brutale, notamment envers les sociaux-démocrates. Pour les libéraux, c'est-à-dire le parti des Cadets, c'est l’espérance d'une nation libérale et prospère, au système représentatif, malgré une monarchie tsariste, qui semble se réaliser.

Le mouvement ouvrier est, quant à lui, largement défait et il faudra attendre les prémisses de la guerre pour qu'il reprenne. Les bolchéviks, s'ils ont connu une croissance jusqu'à 70 000 militants en 1907, retombent à moins de 10 000 et nombreux de leurs cadres sont en exil ou en prison.

Les socio-démocrates et les révolutionnaires tirent les bilans de 1905. Notamment, la question du lien à construire entre les ouvriers et les soldats et aussi, toute la paysannerie reste fondamentale

Où en est cette masse paysanne ? Elle reste très largement majoritaire dans le pays. La nouveauté c'est que depuis 1906, la réforme Stolypine donne le droit à certains paysans de s'accaparer un lot de terre contre l'avis de la « commune paysanne ». Cela va créer peu à peu une classe de paysans riches, les koulaks. Majoritaires dans le pays cependant, les paysans pauvres le seront aussi à la guerre. C'est plus de 10 millions de paysans qui seront envoyés à la guerre.

Politiquement, la paysannerie, se range toujours traditionnellement derrière les représentants socialistes-révolutionnaires (SR), les premiers à avoir mené une politique envers elle, qui élaborent l'idée qu'une révolution socialiste « à la russe » est possible en s'appuyant sur les communautés paysannes déjà existantes. Pourtant, la paysannerie n'a rien reçu des promesses de réforme agraire en 1905.

Pour le prolétariat, la défaite de 1905 et la réaction qui va suivre vont provisoirement geler les revendications ouvrières et donner de l'influence aux menchéviks en période de reflux des luttes.

En 1912, pendant le début de la reprise massive des grèves politiques, après scissions et réunifications, les bolchéviks vont au bout de leur logique. Ils se constituent de fait en parti autour du journal la Pravda et se dotent d'un Comité central.

La Russie tsariste face à la guerre

La Russie est un grand pays mais uniquement un maillon de la chaîne capitaliste. En entrant dans la guerre, elle va en fait payer le droit d'être l'alliée des grands pays européens et des bourgeoisies qui sont les principaux investisseurs en Russie et lui assurent son développement économique. La bourgeoisie pousse également à la guerre car elle pense qu'en participant aux côtés de la monarchie à celle-ci, elle pourra négocier des réformes démocratiques. C'est aussi pour beaucoup une chance de développer une industrie de guerre.

1914 : la guerre

L'armée Russe est celle d'un pays arriéré composée de moujiks illettrés et à peine formés ; seul son immense territoire et ses steppes gelées sont une arme efficace. Rapidement, la Russie va enchaîner les défaites. Au cours de la guerre, elle perdra 2,5 millions de soldats au combat. Pour les masses paysannes mobilisées, c'est une absurdité morbide. Vers 1916 un soldat dira, pour résumer l'attitude de l'armée face à la guerre : « Tous, sans exception, ne s'intéressaient qu'à la paix. Quel serait le vainqueur ? Qui donnerait la paix ? C'était le moindre des soucis de l'armée, elle voulait la paix à tout prix car elle était lasse de la guerre ».

Les retraites successives finissent de démoraliser les troupes qui comprennent que pour les alliés anglo-français, la Russie est un vivier d'hommes inépuisable pour focaliser une partie de l'armée allemande sur le front Est. De plus, le turn-over fait également envoyer au front des ouvriers, et parmi eux, des révolutionnaires, ce qui amène des agitateurs sur le front.

Pourtant, pour la bourgeoisie nationale, cette guerre est une aubaine. Les millions investis dans l'armement et l'industrie de guerre par la monarchie lui vont directement dans les poches.

Pendant que des milliers de soldats meurent au front, et qu'à l'arrière les difficultés d'approvisionnement font craindre des famines, dans les cercles bourgeois, on danse dans les salons.

Mais cette « Belle époque » est de courte durée tant l'armée russe essuie défaite sur défaite. Le tsar Nicolas II est très fortement décrié, tant du côté des masses populaires qu'au sommet. Trotsky dira du tsar: « Les vues du Tsar ne s'étendent pas au-delà de celles d'un médiocre fonctionnaire ».

C'est un fataliste, un autocrate tout à fait médiocre, facilement sous influence, dont celle de sa femme, elle-même sous l'influence de Raspoutine. Ce tsar va écouter l'aile la plus réactionnaire, ultra-chauvine, qui le convainc de ne pas faire de concessions, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Il est tellement impopulaire qu'il frôle une révolution de palais, c'est-à-dire un complot de sa « Cour » pour le remplacer.

En fait, comme dira Trotsky « peu sûre d'elle, la monarchie cédait l'honneur d'étouffer le Tsar à la bourgeoisie, qui elle-même n'était pas beaucoup plus résolue » !

Malgré impopularité du tsar, le début de la guerre a donné évidemment l'occasion d’une Union sacrée, et en contrepartie, une répression brutale de tous ceux qui ne s'y joignaient pas, notamment les bolchéviks.

Dans les usines c'est l'occasion pour les patrons de reprendre confiance face aux ouvriers grévistes. C'est un coup d'arrêt brutal au mouvement révolutionnaire et au mouvement ouvrier. C'est une Union sacrée entre la Douma et la monarchie, et même à l'intérieur de la Douma, entre tous les partis. Même le parti bolchévik d’ailleurs ; au début de la guerre, écrasée par la répression et soumise au chantage des libéraux à la Douma, sa fraction ne va pas s'y opposer clairement à la guerre (en disant « protéger le peuple contre les attaques d'où qu'elles viennent »). Mais finalement, avec les menchéviks, ils vont voter contre les crédits de guerre.

La faillite de la II internationale

La seconde internationale regroupait tous les partis sociaux démocrates. La guerre va signifier sa faillite. Dans chaque État occidental, ses partis membres vont s'aligner sur l'Union sacrée et donc, de fait, puisqu'elle soutient les oppositions nationales et non de classe, faire voler en éclats cette « Entente internationale des travailleurs ». Un courant internationaliste, pacifiste, apparaît et se formalise lors de la conférence de Zimmerwald. Les bolchéviks russes en sont partie prenante, ainsi que des révolutionnaires comme Trotski, et c'est de ce courant que naîtra plus tard la III internationale.

Donc, en Russie, rapidement, le parti bolchévik est le seul parti qui va mener une propagande anti-guerre au sein des masses. Cela leur vaudra l'exclusion de la Douma. Le parti bolchévik a l'avantage de sa constance. Ses membres sont des cadres aguerris à la clandestinité et il s'est doté d'un cadre organisationnel stable.

Dans le mouvement ouvrier, face au durcissement patronal et à la difficulté de la vie liée à la guerre, les grèves politiques reprennent dès la fin 1915.

Ces grèves croisent les revendications sociales (salariales, approvisionnement et vie chère) avec les revendications politiques (arrêt de la guerre), puisque les grévistes et le prolétariat le plus avancé voient bien que les deux sont liés.

Dans le topo précédent, nos camarades ont expliqué que les menchéviks et bolchéviks s'étaient notamment divisés sur la question de l'unification de la lutte « économique » et de la lutte « politique ».

Les seconds, les bolchéviks, étaient donc convaincus de la nécessité d'unir les luttes sociales et politiques pour faire progresser le prolétariat dans la conscience de sa nécessité de poser la question du pouvoir pour, à terme, s'en emparer.

23 février 1917

La situation sociale est donc particulièrement tendue en Russie.

L'inflation est là, les difficultés d'approvisionnement entraînent tous les jours des queues interminables devant les boulangeries, en plein hiver russe, entraînant un rejet de plus en plus massif de la guerre. Néanmoins, en cette fin de mois de février, nous ne sommes pas au cœur d'un mouvement de grève qui s'étend à une grève générale.

Le 23 février, c'est la journée internationale du droit des femmes (dans le calendrier russe). La plupart des sociaux démocrates ont prévu les défilés traditionnels, tandis que les suffragettes, de classe plutôt aisée, manifestent en ville pour le droit de vote des femmes.

Et même, le comité bolchévik de Vyborg, au cœur du quartier ouvrier de Petersburg, pourtant un des plus avant-gardistes, préconise de ne pas faire grève pour éviter une répression inutile…

Ce sont les ouvrières des usines textiles, prolétariat parmi le plus exploité qui, sans direction, vont débrayer massivement à l’occasion de cette journée et même tout de suite essayer d'étendre leur grève. La journée du droit des femmes est une occasion mais, en réalité, le mécontentement est plus global. Ces milliers de manifestantes demandent donc du pain.

Contre toute attente, la manifestation va se dérouler quasiment sans affrontement avec la police. Ces milliers de manifestantes vont réussir à manifester en plein centre de Petersburg et des milliers de citadins, petits fonctionnaires ou autres, les regardent en leur exprimant leur soutien.

24 février 1917

Dès le lendemain, cette manifestation qui a pu s'enfoncer au cœur de la ville, fait exemple. Des milliers d'ouvriers entrent en grève. Surtout, les tramways aussi, obligeant de fait des milliers de salariés à ne pas aller au travail et à se rendre à la manifestation.

Dès le lendemain du 24 les revendications sociales se mêlent aux politiques car elles résultent du même problème : « pour le pain » et donc « contre la guerre » et « contre l'autocratie ».

Dans ces quelques jours, la question de la répression et de l'attitude de la troupe va être centrale pour les ouvriers et les révolutionnaires. La police, vrai bras armée de l'autocratie, est plus brutale mais ce n'est pas une surprise.

Par contre, les Cosaques, eux, vont charger la foule mais ne pas tirer, ce qui étonne beaucoup puisque cette caste de propriétaires terriens, jaloux de leurs privilèges, n'hésite jamais à réprimer violemment.

Déjà, pour les manifestants les plus conscients, l'objectif est la fraternisation avec les forces de répression. Déjà, des milliers d'ouvriers vont vers les casernes pour discuter avec les soldats, on appelle les « frères Cosaques » à ne pas tirer et certains vont se permettre de discuter avec la foule, ce qui est particulièrement symbolique.

25 février 1917

La grève se massifie. Plus de 240 000 ouvriers la rejoignent. Sur une place, la police veut tirer sur un orateur. A ce moment-là, un Cosaque aurait tranché la main au commissaire de police. Vrai ou faux, c'est en tout cas la rumeur qui se répand parmi les manifestants, rumeur qui est un symptôme de ce que tous les manifestants ressentent peu à peu : ces manifestations ne sont pas simplement des manifestations et des grèves, quelque chose va plus loin.

Les soldats sont littéralement agrippés de toutes parts dans la rue, notamment par les femmes qui les implorent de ne pas utiliser leurs armes.

26 février

Le gouvernement, qui au début a cru qu'une répression classique suffirait, décide de réprimer plus brutalement. Dans la nuit, il arrête des bolchéviks et d'autres meneurs des grèves et des manifestations.

Mais en réalité, dans la tête de milliers de manifestants, le déclic est fait. Lorsque la police tire, les rangs des manifestants se reforment. La foule n'est pas disposée à partir, elle est disposée à gagner.

Les directions des révolutionnaires, y compris des bolchéviks, sont dépassées. Sa direction politique ne saisit pas encore toute la profondeur de ce qui se passe. Elle va, par exemple, appeler à la grève générale le soir du 25... alors que dans la nuit, dans certains quartiers, c'est l'insurrection qui a commencé.

Les mots d'ordre des manifestants collent à ceux des bolchéviks (fin de la guerre, fin de l'autocratie, lien soldats-ouvriers) car ses militants sont bien présents au cœur et en tête des manifestations.

Alors, comment, sans direction officielle, la foule a-t-elle franchi le pas d'aller plus loin ? Dans ces premières journées, un élément a aussi une importance, la géographie de la ville : le quartier ouvrier de Vyborg, après les affrontements la journée, est un lieu de discussion, de bilan, de perspectives entre les ouvriers. Dans ces journées, comme le dit Trotsky « la masse devient un être collectif qui a des yeux et des oreilles partout ». C'est par ce biais, et dans la rue aussi, que se forge en quelques jours la conviction qu'il est possible d'aller plus loin.

Et c'est bien la conquête du soldat qui va être décisive. En effet, le soldat est sous tension.

Il est le plus souvent un paysan qui ne veut absolument pas aller se faire tuer au front dans une guerre perdue d'avance.

Les masses manifestantes dans ces premiers jours, ont montré par leur détermination qu'il ne s'agit pas d'une simple manifestation mais d'une insurrection.

Le soldat est harcelé par les ouvriers qui l’enjoignent à se joindre à eux. Il ne peut pas individuellement, comme un gréviste, pratiquer l’insubordination. De l'autre côté, reste son devoir patriotique et la peur de la répression.

Dans les garnisons, il suffira d'un anonyme pour dire stop, pour refuser un ordre, pour que la garnison se soulage de cette tension et passe comme un seul homme du côté de l'insurrection. De plus, une fois le cap franchi de soutenir la révolte, pour les soldats la nécessité de la victoire de l'insurrection est forte... sinon, c'est la cour martiale assurée.

27 février 1917

L’une après l'autre, les garnisons se soulèvent dans la nuit. Elles se mettent à disposition des ouvriers qu'elles voient bien comme politiquement plus avancés, pour la victoire de l'insurrection. Les postes stratégiques de télécommunications sont pris, non sans affrontements avec la police.

Le préfet Khabalov fait placarder l'État d'urgence et l'interdiction de manifester avant de s'enfuir pendant la nuit.

La foule, qui a un véritable lien avec les révolutionnaires, s'empresse de libérer ceux qui sont prisonniers dans les geôles tsaristes. Les menchéviks s'empressent d'aller à la Douma tandis que les bolchéviks vont à Vyborg, parmi les ouvriers.

Une fois la révolution faite, sans direction politique claire, la foule se tourne vers la Douma où siègent en majorité des notables ou des bourgeois, pour que ceux-ci assument de prendre le pouvoir et donc entérinent l'abolition du tsarisme.

Ces parlementaires sont également surpris par la tournure des événements, mais ne peuvent refuser ce cadeau. Eux qui n'en étaient qu'à espérer grappiller au tsar une Douma aux droits législatifs, se retrouvent sommés par la foule de prendre le pouvoir ! Ils forment un Comité exécutif provisoire de la Douma.

Les militants révolutionnaires, bolchéviks compris, sont convaincus alors que la Russie est au stade de développement où elle doit se doter d'un gouvernement bourgeois appuyé par le prolétariat, pour mener des réformes démocratiques et en finir avec le tsarisme.

Néanmoins, ils ne sont pas non plus adeptes de la collaboration de classe. Et donc, au même endroit se reconstitue, sur le modèle de 1905, le Soviet de Petersburg où participent tous les courants révolutionnaires et des députés d'usines.

Cette grève inattendue dans son déclenchement exact n'en est pas moins le résultat d'une maturation du mécontentement. Après l'apathie du début de la guerre, le mouvement ouvrier va reprendre des forces. Il va lier ses revendications sociales aux politiques. De plus, le fameux lien entre soldats et ouvriers va se faire à une échelle de masse durant ces premiers jours.

28 février 1917

Lorsque le tsarisme se réveille, il est déjà trop tard. Le tsar nomme un nouveau dictateur (Préfet) de Petersburg, Ivanov. Mais le 28 février, lorsque l'avant-garde censée réprimer Petersburg arrive, elle passe rapidement du côté de la révolution. Tout est allé très vite. Pour les révolutionnaires, il faut déjà finir la première étape, c'est-à-dire abolir le tsarisme.

Cependant, le Soviet de Petersburg va accepter de remettre le pouvoir à la Douma, qui va former un premier gouvernement provisoire le 2 mars. Ce gouvernement provisoire est majoritairement composé de libéraux, les Cadets, dirigé par le prince Lvov.

Kerenski, dont on va entendre parler, est le seul qui, tout en participant au Soviet de Petersburg, a accepté d'y entrer en tant que ministre de la Justice.

(Kerenski est membre du parti troudovik, c'est à dire travailliste, affilié à la Douma au groupe parlementaire des SR).

Il y a donc instauration d'un double pouvoir qui essaye de concilier sur un équilibre précaire Il s’agit en fait du reflet d’une opposition de classe aux intérêts irréconciliables. D'une part le gouvernement provisoire, de l'autre, le Soviet.

Par exemple, alors que le pouvoir politique est censé être donné au gouvernement provisoire, le Soviet va rapidement prendre une partie du pouvoir et dans l'immédiat, du pouvoir militaire.

Dans la soirée, au Soviet, un anarchiste anonyme, lieutenant de l'armée, réussit à monter à la tribune et lit une proposition de décret au sujet des soldats Ce qu'on va nommer le prékase (ou prikaz : décret) n°1 est adopté à l'acclamation. Ce qu'il dit, c'est que les soldats, représentés par les soviets de soldats, obéissent à leur soviet, et tout ordre militaire venant de la Douma doit être approuvé par le Soviet de Petersburg.

Ce prékase 1 va avoir dans les jours qui suivent un fort retentissement dans toute la Russie auprès des soldats qui se l'approprient.

Le Soviet a une très forte légitimité, car pour les travailleurs, il représente une vraie démocratie populaire. Les délégués sont fréquemment réélus pour coller à l'opinion réelle des usines.

2 mars 1917

Pour les libéraux à la tête du gouvernement provisoire, il n'est même pas encore question d'une république. A ce stade, ils essayent de convaincre le tsar Nicolas II d'abdiquer pour son fils. Finalement, il se fait convaincre d'abdiquer pour son frère qui, lui, demande la protection de la Douma. Celle-ci refuse et en conséquence lui aussi refuse le trône : la monarchie s'écroule d'elle même le 3 mars.

En une dizaine de jours, l'absolutisme russe s'est écroulé sous la pression des masses populaires.

3 mars

Lénine n'est pas présent en Russie, il est toujours exilé en Suisse. Mais ce qu'il comprend, c'est que cette révolution dirigée par le prolétariat, qui s'est doté d'une direction démocratique avec le Soviet, ne pourra pas en rester à une révolution bourgeoise démocratique, mais doit aller plus loin. Il écrit, début mars, ses Lettres de loin.

Il essaye d’y convaincre ses camarades que justement, l'heure est maintenant à la préparation de la seconde phase de la révolution, la révolution prolétarienne. Il donne des perspectives politiques concrètes et adaptées à la situation.

Pour lui, le travail du parti envers le prolétariat doit être d'expliquer que « la révolution est bourgeoise, aussi le prolétariat ne doit compter que sur ses forces, s'armer, et s'organiser en indépendance du gouvernement provisoire ».

Lénine voit bien que le gouvernement provisoire sera incapable de donner satisfaction aux revendications des masses : la paix, le pain et la terre. Pourquoi ? Car le gouvernement provisoire est formé aussi d'industriels bourgeois qui n'envisagent pas du tout d'arrêter la guerre. Ce sont aussi en partie de sincères chauvins qui refusent la défaite de la Russie.

Pour Lénine la tâche du parti est absolument, non de préparer une insurrection de type coup d'État, mais de préparer dès maintenant la révolution prolétarienne notamment, en affermissant les liens avec la paysannerie et pour cela, en créant des comités de paysans prolétaires.

Conforter l'auto-organisation du prolétariat c'est aussi dès maintenant organiser des milices ouvrières organisées sous l’autorité du Soviet. Cette organisation de classe, c'est aussi préparer l'État ouvrier dont le prolétariat aura besoin. Et ce sera, pour Lénine, uniquement un tel État qui pourra obtenir la paix.

Mars- avril

Que fait alors le gouvernement provisoire ? Eh bien, pendant ce temps-là, il fait ce qu'on lui a demandé de faire, c'est-à-dire gérer juridiquement la fin du tsarisme. Mais il n'y a pas d'entente entre le gouvernement provisoire et le Soviet sur ce qu'il faudra faire ensuite. On remet ce débat à la convocation d'une Constituante qui n'a toujours pas lieu.

Lorsque l'administration tsariste s'écroule, le gouvernement provisoire se tourne vers les zemstvos ou les conseils industriels de guerre, qui sont l'exact opposé des soviets, c'est-à-dire des conseils locaux du patronat et des notables pour gérer les affaires courantes locales, surtout administratives.

Sur toute une série de questions, le Soviet de Petersburg agit alors comme une sorte de syndicat des travailleurs auprès du gouvernement bourgeois. Il obtient la journée de 8 heures à Petersburg, par exemple, de fortes libertés politiques pour les travailleurs.

Pendant ces deux mois, les soviets se développent partout et chaque secteur à son tour reconnaît le Soviet de Petersburg comme centre de décisions en y envoyant des délégués.

Le 29 mars aura lieu la première Conférence des soviets ouvriers et soldats, et le 3 mai, la Conférence des soviets paysans (où l'emprise des SR et des menchéviks est totale).

Bref, la dualité du pouvoir augmente. Aux yeux de larges masses, le pouvoir des soviets est légitime. D'autant plus qu'effectivement, comme l'avait dit Lénine, la guerre continue et le gouvernement assume que rien ne va changer.

Les « thèses d’avril » de Lénine

L’accueil des Lettres de loin de Lénine par le parti bolchévik a été plutôt froide. Dans la Pravda, journal du parti, seule une première partie de la première lettre a été publiée. Les dirigeants du parti pensent que Lénine est parti trop longtemps de Russie et qu'il comprendra que l'heure est au soutien d'un gouvernement bourgeois pour « parachever la révolution démocratique bourgeoise ».

Lénine va rentrer à Petersburg dans la nuit du 3 au 4 avril et dès son arrivée, va essayer de convaincre le Comité central sur les positions développées dans ses lettres.

Le soir du 4 avril, il écrit à la va-vite quelques points que le parti bolchévik devrait au plus vite adopter pour avoir une orientation correcte dans les conditions particulières immédiates, notamment :

1) Contre ceux qui défendent la « guerre révolutionnaire » (la guerre jusqu’au bout), il faut la fin de la guerre car celle-ci n'est qu'une guerre capitaliste. La « guerre révolutionnaire » ne saurait avoir lieu que si le prolétariat était au pouvoir ;

2) il faut se hâter de préparer la victoire du prolétariat, c'est la tâche principale du parti ;

3) aucun soutien au gouvernement provisoire, le parti doit dénoncer ses agissements et arrêter d'exiger des choses de lui ;

4) assumer que les bolchéviks sont minoritaires dans les soviets mais néanmoins, que le parti défende « Tout le pouvoir aux soviets », car c'est dans la pratique de la démocratie que les travailleurs verront que ce sont les bolchéviks qui ont raison ;

5) pas de participation à une république parlementaire : le pays s'est couvert de soviets, forme bien plus avancée de démocratie, y participer serait retourner en arrière ;

10) relancer une nouvelle internationale car la seconde a failli avec la première guerre mondiale, et de plus, se dénommer Parti Communiste pour rompre avec l'appellation sociaux-démocrates liée à la IIème internationale.

Ce sont des revendications, à la fois un pas en avant, mais en même temps très concrètes pour les masses. La fin de la guerre est une nécessité qui pénètre des millions de Russes qui font peu à peu l'expérience que le gouvernement provisoire s'en avère non seulement incapable, mais est même disposé à mieux continuer cette guerre.

Du 24 au 29 avril : le recentrage des bolchéviks

Le débat qui se mène ouvertement dans la Pravda depuis le retour de Lénine se résout lors du congrès du parti du 24 au 29 avril. 149 délégués, représentant 79 000 militants, se réunissent. Impactés par la réalité et la justesse des thèses de Lénine, ils finissent les adopter ainsi que la réorientation du parti qu'elles impliquent.

Un bolchévik dira après que, concernant février, « le pronostic des bolchéviks était erroné, mais la tactique était juste ». En effet, les bolchéviks sont depuis des années convaincus que vu le stade de développement de la Russie, il faut se préparer à une révolution démocratique bourgeoise. Lénine comprend que la situation particulière en 1917 permet d'aller plus loin.

Il y a là un paradoxe : se préparer à une révolution, pour les bolchéviks, c'est se lier aux masses, les former, défendre des mots d'ordre justes pour pouvoir entraîner le prolétariat. C'est ce qu'ils font depuis une décennie. Ils défendent une « dictature démocratique ».

En réalité, sans le savoir ils se préparent à la prise du pouvoir par le prolétariat, tout en se répétant qu'il ne peut y avoir qu'une révolution bourgeoise en Russie. C'est donc par le débat, mais aussi par la réalité de leur pratique que les bolchéviks vont se laisser finalement convaincre par Lénine.

Dans cette Russie au double pouvoir, le problème de la guerre reste central.

Le Soviet, à majorité menchévik, est contre la guerre. Mais il ne comprend pas que ses exhortations au gouvernement provisoire sont inutiles.

Le compromis politique entre gouvernement et Soviet ne peut qu'éclater sur la guerre. Milioukov, chef du gouvernement provisoire, déclare à la presse internationale que pour tous les russes « la possession de Constantinople a toujours été considérée comme un tâche nationale ». Alors que le Soviet, indigné, exige de faire une note à la presse internationale se désolidarisant de ces positions, c'est Milioukov lui-même qui transforme cette note en note personnelle et en rajoute une couche en expliquant que le peuple russe est prêt « à mener la guerre mondiale jusqu'à sa fin victorieuse » !

Journées d'avril – 20 avril

Cette note fait l'effet d'une bombe dans un Petersburg en constante ébullition révolutionnaire. Face à la politique guerrière, ouvriers et soldats descendent dans la rue, menés par une partie des bolchéviks. Ici ou là, des confrontations éclatent, mais une tentative d'insurrection prématurée est évitée de justesse par le Soviet qui parvient à empêcher que la situation s'aggrave en interdisant les manifestations qui s'arrêtent aussitôt.

En effet, tous les votes dans les soviets montrent que seuls les bolchéviks sont prêts à prendre le pouvoir avec le prolétariat. Les SR, les menchéviks et donc ceux qui votent pour eux, n'y consentent pas. Les bolchéviks le constatent et ne poussent donc pas à l'insurrection.

Pour les bolchéviks et Lénine notamment, c'est une double démonstration : dans la rue, les bolchéviks ont pu compter leurs forces, et cela démontre de manière massive ce qu'il pensait de l'incapacité d'obtenir la paix avec un gouvernement bourgeois.

5 mai

Trotsky rentre lui aussi enfin d'exil. Il fait partie des menchéviks internationalistes. Il a longtemps caressé l'espoir de réunifier tous les sociaux-démocrates mais la nécessaire rupture avec le social-chauvinisme de la II internationale, le fait que le prolétariat est en train de diriger la révolution russe, la nécessité d'une révolution mondiale, tous ces éléments le font se rapprocher rapidement des thèses de Lénine. Dépassant les militants qui, à cause d’histoires différentes, tardent à fusionner leurs courants, la révolution en cours en Russie a hâté les choses. Les différents groupes internationalistes, comme celui de Trotsky, mais aussi d'autres sociaux démocrates de gauche, s'agrègent au parti bolchévik. Aux yeux des masses, tous sont des bolchéviks, même Trotsky, qui ne souhaite pas qu'on le considère comme tel.

Pour tenter d'éviter que la crise s'aggrave, les leaders du gouvernement démissionnent en tentant de créer un gouvernement qui ferait plus consensus. En effet, le gouvernement provisoire refuse de gouverner seul, irrité par l'attitude du Soviet qui le contrôle sans y participer. Il exige des ministres socialistes. C'est, encore, quelque chose de soutenu par les masses qui y voient un progrès dans la révolution.

Alors, Kerenski devient ministre de la guerre et cinq autres socialistes (menchéviks et SR comme Tchernov) le suivent. C'est le premier gouvernement de coalition.

Pour les SR, c'est un mauvais calcul : ils se retrouvent englués dans un gouvernement de coalition, de collaboration de classe, et se rallient de fait à l'unité nationale pour la guerre. C'est d'ailleurs la principale chose que fait ce gouvernement : continuer la guerre.

Kerenski, qui n'est plus appuyé ni par sa gauche ni par sa droite, va tenter de gagner de l'influence en regagnant les territoires pris par les Allemands et en prévoyant une grande offensive, en contradiction totale avec la volonté des soldats à la paix.

Le 1er Congrès de tous les soviets (Congrès panrusse des Soviets) aura lieu du 3 au 24 juin. Dans sa composition, il est logiquement très dominé par les soviets paysans, où les SR et les menchéviks sont prépondérants. C'est ce qui va expliquer que ce Congrès va donner sa confiance au gouvernement de coalition, et notamment à l'offensive Kerenski.

Mais à l'inverse de ce Congrès, face à la guerre et aux problèmes économiques qui s'accentuent, l'essor des bolchéviks se vérifie particulièrement dans l'armée et dans le prolétariat industriel. En effet, à l'inverse du Congrès panrusse, les soviets ouvriers de Petersburg ou Moscou donnent dans le même temps des majorités aux bolchéviks. De même, les milices ouvrières, formées spontanément par les ouvriers depuis février, sont largement du côté des bolchéviks qui les impulsent et les encadrent, face à des milices populaires créées par le gouvernement.

Il y a donc une polarisation avec, d'un côté, les soviets ouvriers et soldats où les bolchéviks sont très puissants, et de l'autre, le gouvernement provisoire qui continue la guerre et appelle à l'ordre. Le Congrès des soviets, et donc les SR et menchéviks qui y dominent, essayent de faire un « centre politique » conciliateur. Ils appellent à une grande manifestation au mot d'ordre vague « pour la paix et la république démocratique », espérant ainsi « faire renaître l'esprit de février » et faire taire les bolchéviks.

En fait, dans cette manifestation appelée par leurs adversaires, ce sont les revendications des bolchéviks et notamment « la fin de la guerre » et « Tout le pouvoir aux soviets » qui sont les plus reprises. C'est un échec pour la majorité SR et de fait, un désaveu pour le gouvernement. Une nouvelle preuve que les revendications des bolchéviks sont celles écoutées par les masses.

3, 4, 5 juillet, « journées de juillet »

Dans ce contexte donc, Petersburg est en vraie ébullition révolutionnaire. L'opposition de gauche aux bolchéviks, les anarchistes, font monter la pression. Le parti est bien en peine pour calmer les masses, dont une partie non négligeable veut faire la peau au gouvernement provisoire.

Ainsi, de manière spontanée, un régiment de mitrailleurs appelle à l'insurrection le 3 juillet. L'émeute prend dans « Petersburg la rouge ». Les bolchéviks craignent que cela ne vienne trop tôt, notamment au regard de l'arriération politique des autres villes de Russie comme l'a montré le Congrès des soviets, où les masses ont encore une forte confiance dans le gouvernement et les socialistes.

Le parti arrive à canaliser l'émeute en une manifestation. Mais cela est le prétexte parfait pour une répression contre les révolutionnaires, au premier rang desquels les bolchéviks. Des militants sont arrêtés, des journaux sont fermés. Trotski et d'autres dirigeants seront arrêtés et emprisonnés. Lénine, qui craint un procès trop hâtif contre lui voire plus, se réfugie en Finlande.

Le centre politique de la révolution, qui croit encore à la conciliation entre le gouvernement et les masses populaires et leur Soviet, défendue jusqu'au bout par les SR et les menchéviks, ne peut mener sa politique. Les faits matériels, les contradictions de classes font que la révolution ne peut que régresser ou avancer, mais elle ne peut pas stagner. C'est la fin de cette grande phase, que certains comme les SR ont voulu tirer jusqu'au bout, unanimiste, de conciliation.

24 juillet

Le gouvernement provisoire a fait sa mue en gouvernement de coalition avec quelques socialistes. Mais ceux-ci, le centre, penchent dangereusement à droite. Kerenski nomme grand chef des armées le général Kornilov, figure autoritaire du militarisme russe, considéré comme un héros par ses pairs.

Parallèlement, ce gouvernement est tout à fait inoffensif pour les capitalistes. La crise économique se développe. Le rouble est largement dévalué et les capitalistes pratiquent abondamment le lock-out pour empêcher les usines les plus politisées de prendre le contrôle de la production.

26 juillet : réunification du parti

Dans la continuité de la convergence des révolutionnaires (bolchéviks, sociaux démocrates internationalistes, groupe inter-rayon de Trotsky), après le retour de Trotsky en Russie, sans Lénine encore absent, se déroule le 26 juillet le VIème Congrès du parti bolchévik, qui sera, en fait, un congrès de réunification, correspondant à l'activité concrète, réelle, démocratique et commune de tous ces courants pendant des années et particulièrement pendant la révolution. Comme l’a écrit Pierre Broué : « la force du parti unifié vient de la fusion totale de ces courants divers, autant que de la diversité des itinéraires qui les ont menées, à travers des années de lutte idéologiques, à la lutte en commun pour la révolution prolétarienne ». Car loin de l'idée stalinienne du parti de Lénine monolithique, qui aurait gardé une ligne rigide, c'est un parti de débat démocratique, révolutionnaire au sens où ces débats sont confrontés à la réalité et se tranchent par elle. Par exemple, sur les 21 membres du Comité central, la plupart ont été en confrontation idéologique directe avec Lénine.

12 au 15 août.

Le pays est alors globalement hors de contrôle du gouvernement qui n'a de poids à peu près qu'aux alentours de Petersburg. L'offensive militaire, qui était pour lui une occasion de gagner la confiance populaire en devenant un meneur de guerre, est défaite.

Pour la droite réactionnaire, qui a peu à peu repris des forces, c'est un bon moment pour agir. Les militaires se constituent dans une Union des Chevaliers de la Saint-Georges, et les industriels se dotent d'un programme économique anti socialiste. La polarisation s'accentue. L'affrontement devient inévitable.

Kerenski, pour tenter à nouveau de reprendre la main, tente de réunir une Conférence d'État au théâtre Bolchoï à Moscou. En réalité, l'impuissance de Kerenski est visible par tous, et la droite en profite pour acclamer Kornilov comme son héros, le héros de la contre-révolution.

27 août

Elle va alors utiliser le premier prétexte pour tenter un coup d'État. La ville de Riga vient de tomber aux mains des Allemands, ce qui pourrait ouvrir la voie à la prise de Petersburg. Encouragé par les réactionnaires, le général Kornilov en profite pour envoyer des troupes sûres y remettre de l'ordre.

Kerenski, honteux, va destituer le général qu'il a lui même mis à cette place. Concrètement, le putsch tombe à l'eau rapidement, mais les conséquences sont plus profondes.

Dès la nouvelle de l'avancée de ces troupes sur Petersburg, tout le monde, y compris le gouvernement, se tourne vers les soviets, seul organe de masse ayant une légitimité pour assurer la défense de la ville face aux armées putschistes. Et en particulier, vers les milices ouvrières des bolchéviks qui sortent de la clandestinité et se reconstituent en Garde Rouge.

Par ailleurs le Soviet décide d'envoyer des agitateurs face à l'armée putschiste. Ce sont notamment des bolchéviks, les plus formés à cet exercice, qui iront et qui vont massivement réussir à retourner politiquement les soldats qui suivent les putschistes.

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Après les difficultés de juillet et la semi clandestinité, le parti bolchévik va donc apparaître comme grand gagnant de ce coup d'État raté. Il continue d'accroître son audience dans les masses.

Depuis février il a expliqué :

- que l'indépendance du prolétariat était la seule garantie face à un gouvernement bourgeois pour défendre la révolution, c'est, avec le putsch, ce qui vient d'apparaître massivement ;

- que l'auto-organisation, politique et militaire, des masses était une nécessité, et c'est bien dans les soviets que les masses trouvent leur légitimité politiquement ;

Il a été le seul à défendre une politique claire pour l'arrêt de la guerre en démontrant que le gouvernement provisoire bourgeois serait incapable de la faire ; c'est ce qui se produit, et l'arrêt de la guerre est ressenti comme une nécessité absolue et vitale.

Il propose un programme économique de contrôle de la production et de nationalisation qui correspond à la réalité de ce que vit le prolétariat.

Et il a également su temporiser la fougue révolutionnaire d'une partie des masses pour mieux la faire sortir lorsque la volonté de prendre le pouvoir serait la plus partagée par les masses.

C'est cette politique qui va continuellement, ce qui ne veut pas dire sans décrue, lui faire gagner en influence parmi les masses russes.

Et cette politique est le fruit d'années de militantisme au sein des masses, durant les grèves, pendant la guerre, dans la clandestinité. Cette politique d'indépendance organisationnelle, concrétisée depuis 1912, porte ses fruits.

Mais non sans débats : il a fallu, il faut bien le dire, toute la force de conviction d'un Lénine, imprégné de débats internationaux, pour faire sortir l'état-major bolchévique de « l'esprit de février » et d'unité des révolutionnaires pour une révolution bourgeoise. Lénine a eu cette force de conviction, mais c'est de manière dialectique, dans la pratique des masses elles mêmes, que ses idées ont convaincu tout le parti bolchévik.

C'est donc un parti plus prêt, plus convaincu de la nécessité de passer à l'étape supérieure, la révolution prolétarienne, qui a appris aux masses mais aussi avec les masses et y a gagné une influence organique claire, qui s'apprête à mener sa politique après le putsch raté de Kornilov.

François D.