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L’Europe du temps de Marx est un monde en plein bouleversement où un nouveau monde, celui de la bourgeoisie le dispute à l’ancien monde féodal. C'est une période nouvelle et pleine de contradictions. L’essor du capitalisme entraîne toute une série de bouleversements scientifiques, techniques, de transformations économiques et sociales, de luttes politiques liés aux résistances des anciennes classes féodales mais aussi à l'éveil d'une nouvelle classe, la classe ouvrière ou prolétariat.

Marx est né en Rhénanie, une région d’Allemagne qui a subi directement l'influence de la Révolution française et des idées des philosophes des Lumières. Quand Marx naît, l’Europe continue d’être agitée par les aspirations démocratiques éveillées par la Révolution malgré le virage réactionnaire imposée par la Sainte alliance, l'alliance des Princes, des Rois, des Empereurs et de l’Église pour éradiquer toute idée de Révolution, de progrès.

Pendant toutes les années de jeunesse de Marx, au lycée à Trêves, puis à l’université d'abord à Bonn en 1835 et puis à Berlin jusqu'en 1840, l’agitation se développe parmi la jeunesse intellectuelle.

Marx étudie d'abord le droit qui à l'époque est considéré comme le fondement de toute société, il ressent ensuite le besoin d'étudier la philosophie, celle des philosophes des Lumières comme celle des matérialistes Grecs de l'Antiquité. Et surtout, il plonge dans la bataille philosophique autour du principal philosophe allemand de l'époque : Hegel.

Hegel et la dialectique

Hegel reflète les contradictions de son époque, il exprime l'influence de la Révolution française tout en étant devenu le philosophe très officiel d'une société réactionnaire. D'un côté, il a développé une méthode de pensée révolutionnaire, la dialectique, et de l'autre il a construit un système philosophique qui le conduit à voir dans l'ordre social de son temps, le règne de la Raison. Le système fabriqué par Hegel est en totale contradiction avec sa méthode.

Cette méthode de pensée, la dialectique, consiste à tout concevoir comme un processus en état de transformation constante. Rien n'est figé ou éternel mais au contraire tout évolue, se transforme au cours du temps. Mais Hegel est idéaliste et il ne conçoit cette perpétuelle transformation du monde qu’à travers l'histoire des grandes conceptions philosophiques, des grands principes, qu'il appelle l'Idée. Pour lui à travers l’histoire, l'Idée, incarnation de la Raison, se réalise en faisant reculer l'obscurantisme, les croyances religieuses. « La fin de l'histoire est la réalisation de l'Idée » dit Hegel qui en conclut que cette Idée s'est enfin concrétisée... dans l’État des Princes et des Empereurs.

Ce n'est pas très différent de bien des discours sur la « fin de l'Histoire » et le triomphe de la Démocratie qui devaient accompagner la Mondialisation… Et aujourd'hui comme à l'époque de Marx, le décalage entre les grands principes et la sordide réalité d'une société inégalitaire ne peut qu'éveiller dans la jeunesse l'envie de faire la « critique impitoyable de l’ordre existant »

Et justement la jeunesse radicale d’Allemagne trouve dans cette dialectique de Hegel un outil redoutable pour exercer sa critique. En sapant l’idée même de vérités éternelles, la dialectique ruine toute justification de l'ordre social…. Pour elle, aucune société, aucun régime ne sont éternels, tous sont voués à disparaître… elle est pour cela : « l’algèbre de la révolution » pour reprendre l'expression d'un révolutionnaire russe, une « abomination pour les classes dominantes » comme l'écrira plus tard Engels « (Première préface du Capital).

Marx rejoint donc le courant des jeunes Hégéliens de gauche qui trouvent dans cette dialectique, une arme à retourner contre tous les dogmes religieux, toutes les idées réactionnaires et arriérées, même si reste le problème de l’idéalisme de Hegel.

Feuerbach et le matérialisme

Parmi les jeunes hégéliens, Ludwig Feuerbach libère les esprits de cet idéalisme en lui opposant une conception matérialiste de la Nature, base d'une critique radicale de la religion : ce sont les hommes qui ont inventé les dieux et non l’inverse ! 

C’est une révolution qui provoque l'enthousiasme. Pour comprendre le monde, il ne s'agit pas de partir des Dieux, de la réalisation de l'Idée mais du réel c'est à dire de la Nature et des hommes. Pour Feuerbach, les idées sont des reflets du monde réel, les dieux de simples créations de l'imagination humaine, personnifications de sentiments humains que l'on a idéalisées et logées au ciel.

Marx s’enthousiasme mais n'en reste pas là… et il fait franchir une nouvelle étape décisive à cette philosophie matérialiste qui sous différentes formes existe depuis l'Antiquité…

Pour Marx, les idées de Feuerbach « n'ont qu'un tort : (elles) renvoient trop à la nature et trop peu à la politique. ». Il lui reproche de ne pas rattacher sa critique de la religion à la critique de la société qui a engendré les croyances religieuses car comme il l’écrira plus tard : « Lutter contre la religion, c’est donc indirectement, lutter contre ce monde-là, dont la religion est l’arôme spirituel ».

Feuerbach part de l'Homme, mais il en fait une abstraction hors de l'histoire et du temps. Pour Marx au contraire, les hommes appartiennent à une époque précise, ils s'inscrivent dans toute une évolution sociale et historique. Et les hommes ne se bornent pas à subir passivement l’influence de la nature ou de l'éducation, ils agissent eux-mêmes dessus et en les transformant, ils transforment leurs conditions d’existence et donc se transforment eux-mêmes. Marx dépasse le matérialisme de Feuerbach en y introduisant l’élément révolutionnaire, l'élément d'action… ce qu’en terme philosophique on appelle : la praxis.

Si le point de départ, c'est le monde matériel, il s'agit de l'appréhender avec la méthode de Hegel, la dialectique, c'est à dire comme une réalité en perpétuelle transformation. Marx remet la dialectique de Hegel à l'endroit, c'est-à-dire sur la base d'une conception matérialiste.

Matérialisme, déterminisme et liberté

Jusque-là, les défenseurs du matérialisme avaient une vision mécanique du monde, ils le décrivaient soumis à des lois immuables que la science se devait de découvrir. Cela a permis d’énormes progrès de la connaissance scientifique mais laissait peu de place au changement, à l'histoire ! Depuis l'Antiquité, le débat philosophique opposait ceux pour qui le déterminisme strict gouverne le monde matériel et ceux pour qui le hasard, la liberté est la condition du changement et donc de l'histoire.

Marx, en reliant matérialisme et dialectique, dépasse cette apparente contradiction, déterminisme et liberté en réalité se complètent : ce sont bien les hommes qui font l'histoire mais dans des conditions déterminées.

Dans le prolongement de Marx, c'est le développement des sciences qui a permis de dépasser concrètement ce débat philosophique.

Ainsi, Darwin, une vingtaine d'années plus tard, provoque une révolution complémentaire de celle de Marx, en décrivant les mécanismes à la base de l'évolution des espèces : aucune espèce vivante n'est éternelle ou immuable… c'est l'ensemble du monde vivant qui est en perpétuelle transformation, dans un jeu de déterminisme et de hasard.

De même, le développement des sciences modernes, notamment de la physique avec Einstein et bien d'autres, a confirmé que c'est l'ensemble de l'Univers qui ne suit pas des lois immuables selon un déterminisme mécanique mais est une réalité soumise à des lois internes qui se développent, évoluent et se transformant au cours du temps. Et pour finir de tout déstabiliser… le temps lui-même a une histoire, nous disent les scientifiques comme Stephen Hawkins !

Il n’y a donc vraiment rien de stable !

Premiers combats : Gazette Rhénane – Annales franco-allemandes

Marx mène le combat philosophique mais il veut changer le monde, ce qui pour lui signifie allier la pensée à l'action, en clair, faire de la politique pour intervenir dans le réel. En s'engageant dans le combat réel, Marx s'éloigne et finit par rompre avec la plupart des jeunes hégéliens qui se perdent dans une critique de plus en plus abstraite, impuissante car hors du temps et de la réalité sociale... Pour reprendre la célèbre formule de Marx : « Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe, c'est de le transformer. »

Pour Marx comme pour d’autres jeunes intellectuels radicaux, les portes des Universités allemande, reprises en main par le pouvoir, se ferment, il s’engage alors dans le combat démocratique contre l’absolutisme comme journaliste en participant à deux publications, d’abord en 1842 à la Gazette rhénane qu’il a dirigée puis, après l’interdiction de celle-ci et son exil forcé à Paris, les Annales franco-allemandes en 1843 qui seront aussi victimes de la censure.

Il se confronte pour la première fois à la réalité sociale de son temps, celle qui accompagne les débuts du développement du capitalisme en Allemagne.

La scène d'ouverture du film de Raoul Peck « Le jeune Karl Marx » illustre un de ses premiers articles qui dénonce la violente répression frappant les paysans pauvres coupables de ramasser du bois mort dans des forêts privatisées par l’essor du capitalisme. Marx montre que derrière les grands principes universels qui prétendent fonder le droit, il n'y a rien d'autre qu'une « cruelle guerre de spoliation des masses populaires » pour de sordides intérêts de classe, la défense du droit de propriété d’une minorité contre les besoins vitaux du plus grand nombre.

Pour continuer à combattre cette réalité sociale inacceptable, Marx se convainc de la nécessité d'étudier les mécanismes de l'économie capitaliste et de s'intéresser aux nouvelles idées socialistes et communistes qui sont apparues en France et en Angleterre.

Partir de la critique de tout l'ordre existant – Rencontre avec Engels

Marx ne prétend pas inventer une nouvelle doctrine porteuse d’une nouvelle utopie. Comme il le formule lui-même dans un article des Annales franco-allemandes : « […] nous n'entendons trouver le nouveau monde qu'au terme de la critique de l'ancien. […] ce que nous avons à réaliser dans le présent n'en est que plus évident ; je veux dire la critique radicale de tout l'ordre existant, radicale en ce sens qu'elle n'a pas peur de ses propres résultats, pas plus que des conflits avec les puissances établies. »

Marx annonce ainsi ce qui restera son orientation tout au long de sa vie...

C'est donc en partant de la critique de la réalité sociale comme de toutes les idées reçues, amies ou ennemies, et en ayant en même temps la plus grande ouverture d’esprit pour s’approprier les nouvelles connaissances d’une époque de profonds bouleversements, que Marx élabore sa conception révolutionnaire…

Sa rencontre avec Engels à Paris en 1844 sera décisive.

Engels a lui aussi fait partie des jeunes hégéliens de gauche. Il est arrivé à la même conception matérialiste que Marx. A Paris tous les deux vérifient leur plein accord au cours d'une dizaine de jours et de nuits de discussion passionnée, parfois bien arrosée, comme on peut le voir dans le film de Raoul Peck…

Fils d'industriel, Engels a travaillé dans les usines de sa famille à Manchester en Angleterre, berceau de la Révolution industrielle. Et il a pu étudier ses conséquences sur les conditions de vie de la classe ouvrière. Il a aussi rencontré, par l'intermédiaire de sa compagne Marie Burns, une ouvrière irlandaise, les premiers militants du mouvement Chartiste, une des premières organisations politiques de la classe ouvrière.

Cette collaboration intellectuelle comme l’amitié de Marx et d'Engels qui commencent en 1844 dureront toute leur vie.

Socialistes et communistes utopiques

A Paris où il séjourne de 1843 à 1845 avant d'en être expulsé, Marx se plonge donc dans l'étude des théories économiques et des idées utopiques socialistes et communistes.

Les idées socialistes et communistes existaient avant Marx et avant même les premières luttes ouvrières. Au cours de la Révolution, Babeuf dénonçant « cette duperie qu’a été pour le peuple la Révolution française », affirmait que pour instaurer pleinement l'égalité entre les hommes, il fallait abolir la propriété privée.

Au lendemain de la Révolution, des intellectuels révoltés par la réalité sordide de la société bourgeoise imaginent des systèmes utopiques plus égalitaires. Pour y arriver, ils espèrent convaincre la bourgeoise de réaliser les réformes nécessaires… Saint Simon et Fourrier font partie de ces socialistes utopiques dont les idées font du bien en ces temps d'offensive réactionnaire !

Pour Saint Simon, le but de l’économie doit être l’amélioration du sort de la classe la plus pauvre et la plus nombreuse, ce qui implique d'en finir avec la concurrence entre les hommes. Il veut instaurer une société organisée scientifiquement où l'administration des choses dans l'intérêt du plus grand nombre remplacerait le gouvernement des hommes qui permet à une minorité d'imposer sa loi à la majorité.

Charles Fourier dénonce cette société bourgeoise où la pauvreté naît de l’abondance même. Il est le premier à formuler l'idée que le degré d’émancipation de la femme est la mesure naturelle de l’émancipation générale. Lui aussi imagine une société égalitaire idéale reposant sur des Phalanstères d'où la division du travail doit disparaître, et qui reposerait sur une pédagogie liant théorie et pratique.

Marx étudie toutes ses conceptions socialistes utopistes.

Il rencontre aussi des représentants des différents courants apparus au sein de la classe ouvrière qui eux aussi défendent des projets de sociétés plus égalitaires, voire communistes pour en finir avec les inégalités sociales, comme par exemple, Proudhon et sa célèbre formule « La propriété, c'est le vol », ou Etienne Cabet et son « Voyage en Icarie », un des premiers à se revendiquer ouvertement « communiste ».

A l'écoute de tous les progrès des sciences et des techniques

Marx comme Engels se passionnent aussi pour le puissant essor des sciences et des techniques qui accompagne le développement du capitalisme tout au long du XIXème siècle.

Toute la vie sociale en est transformée. Ainsi, l'essor des chemins de fer et de la marine à vapeur bouleversent les transports, raccourcissant les temps de voyages et les échanges commerciaux mondiaux. Les premières applications de l’électricité, notamment pour établir des communications longues distances révolutionnent les moyens de communication. Ces progrès et bien d'autres font entrevoir à Marx et Engels tout ce que ces techniques mises au service du plus grand nombre pourraient apporter.

Ils s'intéressent et étudient les nouvelles sciences qui se développent à partir des connaissances qui s’accumulent, comme la chimie moderne et l'agronomie qui révolutionnent l'agriculture et soulèvent déjà des problèmes de préservation des équilibres écologiques ; comme la préhistoire, l'anthropologie et bientôt la théorie de l'évolution de Darwin.

A partir de tout cela, Marx et Engels étudient scientifiquement les sociétés humaines, leur histoire, leur développement économique contradictoire, la réalité des antagonismes de classes qui les structurent. C’est par cet énorme travail d’étude et avec une profonde révolte contre l’ordre social qu’ils sont allés jusqu’au bout de leur matérialisme militant pour remettre en cause le préjugé du caractère sacré de la propriété privée, fondement bien matériel de la société bourgeoise, et donner aux idées communistes un tout autre contenu que la seule espérance en une société égalitaire utopique.

Dans un travail écrit en commun avec Engels en 1845, il donne du communisme la définition suivante : « Pour nous, le communisme n’est pas un état de choses qu’il convient d’établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses. »

Bruno Bajou