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L’histoire a retenu le dimanche 22 janvier 1905 comme le point de départ de la première révolution russe.

Ce jour-là, les masses ouvrières de Petersburg et leurs familles, endimanchées et sans armes, partaient en procession pacifique vers le Palais d'Hiver, derrière leur leader, le pope Gapone, avec icônes et oriflammes. Des milliers d'ouvriers avaient quitté leurs usines, leurs quartiers, pour apporter à leur souverain une supplique, une pétition qui décrivait toutes les persécutions et l'exploitation qu'ils subissaient. Du froid et des courants d'air qui traversaient les fabriques, à l'état de misère et de servitude dans les campagnes, la pétition exprimait tout de la condition des masses opprimées mais surtout leur exaspération qui grandissait.

Le tsar répondit à ses sujets en faisant donner la troupe. La brutalité policière finit en bain de sang, laissant sur le pavé, ce « Dimanche sanglant », des centaines de morts et des milliers de blessés.

Comment en était-on arrivé là ?

Les récits de cette journée mettent souvent en avant la naïveté des masses ouvrières, leur arriération. Mais il n’y avait rien de spontané ni d’arriéré dans cette immense marche ouvrière vers le palais du tsar. Cette journée était en fait le point culminant d’une grève de masse qui avait mis en mouvement tout au long du mois de janvier la classe ouvrière de Petersburg.

Depuis le 3 janvier, des milliers d'ouvriers étaient en grève à l'usine Poutilov. La grève s'était étendue ; en plusieurs jours, elle avait gagné tous les secteurs de l'industrie, du commerce et des transports. Au départ, c’était une grève économique, partie d’un motif insignifiant, mais en s’étendant, en entraînant d’autres secteurs par dizaines de milliers, elle s’était transformée en un fait politique.

Depuis des mois, une contestation politique plus large s’était développée contre l’autocratie tsariste, particulièrement active dans les milieux de la bourgeoisie libérale qui réclamait une démocratisation du régime, profitant de l’affaiblissement, du discrédit de l’autocratie tsariste, suite à la débâcle de la guerre russo-japonaise. Elle réclamait une Constitution, et cherchait à faire pression sur le tsar par les voies légales, à travers sa presse, et une vaste campagne de banquets, de motions, de protestations, de pétitions, qui entretenait toute une agitation politique.

Pour donner le change, le tsar avait mis en place un gouvernement qui annonçait une ère nouvelle de rapprochement entre le pouvoir et le peuple, qui promettait vaguement une démocratisation. Mais aussi timides que soient les méthodes de la bourgeoisie libérale, elles encourageaient les masses ouvrières qui revendiquaient la Constitution avec leurs méthodes à elles, de puissantes manifestations de rue. Et contre la rue, le tsar avait envoyé les cosaques en décembre.

Le pouvoir apparaissait déstabilisé, affolé, oscillant entre les vagues promesses de réforme et la répression. Cela ne faisait que renforcer la conscience politique des masses et faire tomber les illusions.

C’est tout cela qui aboutit aux grèves de janvier et à la manifestation du 22 janvier.

La pétition qui devait être portée au tsar s’était élaborée dans les onze sections de la « Société des ouvriers des fabriques et des usines », une organisation issue de la police, qui fait que c’était la seule légale. Un de ses leaders était un pope, aumônier d’une prison, Gapone, qui surfait sur le mouvement populaire. C’est dans ce cadre que les meetings s’étaient succédé sans interruption, les assemblées, pour élaborer, rédiger la pétition… Dans ces assemblées ouvrières publiques, les militants sociaux-démocrates étaient intervenus largement, s’étaient démultipliés, avaient travaillé les masses de leur propagande et de leurs mots d’ordre. Et parce qu’ils correspondaient aux besoins démocratiques des masses, les mots d’ordre de la social-démocratie étaient devenus ceux de la masse et de la pétition.

La pétition décrivait toutes les persécutions et l'exploitation des opprimés. Mais son contenu était clairement un contenu politique de classe, qui exprimait la force des masses qui entraient en lutte pour leurs droits : elle réclamait l’amnistie, les libertés publiques, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la journée de 8 heures, des augmentations de salaires, la cession progressive des terres aux paysans, le droit de grève, et surtout, la convocation d’une assemblée constituante au suffrage universel, non censitaire.

La journée du 22 janvier est celle où « le prolétariat se mit en marche pour la première fois sous un étendard qui lui appartenait en propre, vers un but qui était bien à lui » (Trotsky). C’était la première confrontation directe de la classe ouvrière en tant que telle avec l’autocratie tsariste.

La classe ouvrière n’avait pas encore les forces et l’organisation pour emporter la victoire et renverser le régime.

A l’issue de ces journées de janvier, la confrontation était allée jusqu’au bout de ses possibilités du moment.

Mais le puissant mouvement de grève de janvier et l'impact du Dimanche rouge qui avait porté le prolétariat sur le devant de la scène, eurent un puissant retentissement dans tout le pays. La comédie du « printemps » libéral, du rapprochement entre le pouvoir et le peuple, était finie.

Après les évènements de janvier, la grève de masse s’éparpille dans les mois qui viennent en une multitude de grèves économiques qui gagnent tout le pays.

Le prolétariat prenait conscience de sa force, entrait en lutte pour ses droits. Dans la lutte, il travaillait à son unité, s'organisait. Durant ces mois d’agitation, la grève toucha cent vingt-deux villes et villages, plusieurs secteurs des mines, les compagnies de chemin de fer dans leur ensemble. Les uns après les autres, les secteurs industriels, les entreprises, entraient dans la lutte. Le mouvement gagnait les régions les plus reculées, les masses les plus arriérées découvraient l'action.

Dans les campagnes, la conscience des paysans s’éveillaient. Des mouvements de paysans allaient collectivement, froidement, récupérer sur les domaines des grands propriétaires ce qu’ils considéraient comme leur dû.

Dans l’armée, des mutineries éclataient contre l’incurie du commandement et la discipline. La mutinerie des marins du cuirassé Potemkhine en juin 1905 a été, selon Lénine, « la première tentative de créer l'embryon d'une armée révolutionnaire », sous le contrôle des marins et des soldats. Après avoir désarmé et neutralisé leur hiérarchie, les marins trouvèrent l’appui des ouvriers révolutionnaires d’Odessa.

Partout les grèves, les soulèvements, s’encourageaient, se nourrissaient les uns des autres et se renforçaient.
« On a besoin de se rendre compte pour soi-même, pour le prolétariat des autres régions et enfin, pour le peuple entier, des forces que l'on a accumulées, de la solidarité de la classe, de son ardeur à combattre ; on a besoin de faire une revue générale de la révolution. », écrivait Trotsky.

La logique de la lutte de classe faisait alors dire aux bolcheviks qu'« après le 9 janvier, la révolution ne connaîtra plus d'arrêt ». Elle était inscrite au cœur des contradictions de la société russe. Les militants du parti social-démocrate qui préparaient depuis de longues années ce réveil du prolétariat se trouvèrent confrontés à de nouvelles tâches.

Ils avaient joué un grand rôle dans les journées révolutionnaires de janvier. Leur organisation qui touchait plusieurs milliers d'ouvriers à Pétersbourg (environ 8000) leur avait permis d'aider à l'organisation des masses et ils avaient gagné leur confiance en formulant, au cœur même de ces masses, les mots d'ordre qui exprimaient leurs besoins, et qui étaient devenus les mots d'ordre de tous. Les bolcheviks se préparaient maintenant à organiser et diriger la révolution, à conduire les masses opprimées vers l’objectif de la prise du pouvoir. Mais au sein du parti, mencheviks et bolcheviks étaient divisés sur les perspectives ouvertes par la situation révolutionnaire. Les mencheviks hésitaient, reculaient devant la perspective de préparer la prise du pouvoir, suivistes vis-à-vis de la bourgeoisie libérale. Ils pensaient que la révolution devait d’abord passer par une étape bourgeoise. Deux politiques divergentes s'affirmaient, se confrontaient.

Octobre, la grève redémarre : de son développement émerge son organisation et sa direction : le soviet.

Après des mois d’agitation révolutionnaire, tout s’accéléra au mois de septembre. D’abord dans les universités qui deviennent à ce moment le lieu d’une intense activité politique, entretenue par les intellectuels radicaux. Des assemblées populaires, où se retrouvaient tous ceux qui venaient à la révolution, s’y tenaient en permanence. Les ouvriers allaient tout droit à l’université à la sortie de l’usine. Ils y faisaient directement l’expérience de la démocratie. Ils y découvraient les idées socialistes, marxistes. « La parole révolutionnaire était sortie des souterrains, et retentissait dans les salles de classe, les corridors, et les cours de l’université. La masse s’imprégnait avec avidité des mots d’ordre de la révolution. » (Trotsky)

A Pétersbourg, une nouvelle manifestation de masse de l’ensemble de la classe ouvrière n’était prévue que beaucoup plus tard, (3 mois plus tard) pour l’anniversaire du Dimanche sanglant. Mais les évènements se précipitèrent.

Le 19 septembre, à Moscou, les compositeurs d’une grosse imprimerie, l’imprimerie Sytine, se mettent en grève. Ils exigent une diminution des heures de travail et une augmentation du salaire aux pièces (ils étaient payés au nombre de caractères d’imprimerie), demandant que la pose des signes de ponctuation soient payés au même tarif que les autres lettres.

La grève se répand comme une trainée de poudre. Des secteurs industriels se mettent en grève en solidarité avec les travailleurs de la presse, d’autres se sentent encouragés à entrer en lutte pour leurs propres revendications. Avec l’entrée en grève des cheminots, le mouvement se généralise jusqu’à paralyser une grande partie du pays à partir du 8 octobre. (700 000 cheminots, la quasi-totalité, avaient arrêté le travail). Le télégraphe s’arrête.

Sans mot d’ordre des partis, sans préparation, la grève devient générale. Elle devient politique. Aux revendications professionnelles des secteurs s’ajoutent maintenant les revendications et mots d’ordre de la classe ouvrière dans son ensemble, les mots d’ordre de la révolution : « la grève commence à sentir qu’elle est elle-même la révolution et cela lui donne une audace inouïe » (Trotsky). Elle demande une assemblée constituante et la République démocratique. Elle lutte pour abattre l’autocratie tsariste. Ses mots d’ordre étaient bourgeois : une constitution, la République démocratique, mais sa force vive et ses méthodes étaient prolétariennes.

De son centre vital, Petersburg, elle gagne Moscou et les régions les plus éloignées du pays.

La grève n’est pas passive. La poste, le télégraphe et les trains fonctionnent pour transmettre ses mots d’ordre, pour transporter les journaux ouvriers, pour envoyer partout dans le pays les délégués de la grève. Les imprimeries sont réquisitionnées pour l’impression des journaux, de la propagande.

Là où la grève se heurte à la répression des cosaques, elle passe à l’offensive. Dans plusieurs villes du midi, les ouvriers élèvent des barricades, prennent d’assaut les magasins d’armes pour faire face à la troupe.

Des soldats commencent à se montrer dans les meetings pour dire qu’ils sont « avec le peuple ». Des bataillons de soldats et de marins, au sein desquels circule la propagande des sociaux-démocrates sont gagnés à la classe ouvrière et au mouvement.

La classe ouvrière finit par rallier à elle la petite bourgeoisie radicale, les intellectuels, y compris la bourgeoisie industrielle qui veut au plus vite la constitution et le retour à l’ordre pour que les affaires reprennent. La classe ouvrière impose ses méthodes, celle de la grève générale de masse : les professeurs, les magistrats, les avocats, les médecins, les intellectuels arrêtent le travail... les commerces ferment.

Ce n’est pas l’insurrection, c’est la grève politique qui s’affirme, qui affirme ses objectifs.

Le soviet 

A Pétersbourg, s’organise alors un conseil des députés ouvriers, pour répondre aux besoins pratiques d’organisation et de direction de la grève. Ce conseil, le soviet en russe, va jouer durant toutes les semaines révolutionnaires qui vont se poursuivre jusqu’en décembre, le rôle de direction incontestée, reconnue de tous, de la révolution.

Aucune des organisations politiques existantes ne pouvait à elle seule représenter le cadre large et démocratique dont la classe ouvrière dans son ensemble avait besoin pour développer et organiser la lutte. Les partis révolutionnaires -bolcheviks, mencheviks, socialistes-révolutionnaires pourtant capables de mobiliser plus de 10 000 ouvriers à Petersburg - ne pouvaient, du fait de leurs structures clandestines, à eux seuls unifier par des liens vivants, dans une seule organisation, les milliers et les milliers d'hommes et de femmes qui entraient dans la lutte.

Il fallait une organisation de la grève dans laquelle tous les courants révolutionnaires puissent trouver leur place et qui pour avoir une quelconque autorité sur les masses en lutte soit largement représentative de tous les éléments révolutionnaires, des plus conscients aux plus arriérés et exploités. Trotsky : « Quel principe devait-on adopter ? La réponse venait toute seule. Comme les seuls liens qui existaient entre les masses prolétaires dépourvues d’organisation, était le processus de la production, il ne restait qu’à attribuer le droit de représentation aux entreprises et aux usines ».

Une des deux organisations social-démocrate de Petersburg prend l’initiative de réunir un premier conseil ouvrier révolutionnaire autonome, alors que la grève est en train d’atteindre son apogée.

Le 13 octobre au soir, dans les bâtiments de l’institut technologique, a lieu la première séance du futur soviet. Il n’y avait pas plus de trente à quarante délégués d'usines, quelques délégués des partis révolutionnaires et des syndicats.

Le soviet décide d’appeler immédiatement le prolétariat de la capitale à la grève politique générale et à l’élection de délégués, sans que cela fasse le moins du monde discussion. La grève générale politique, qui avait suscité des débats idéologiques passionnés au sein du mouvement révolutionnaire russe et allemand, avec ses partisans anarchistes et ses détracteurs, s’imposait là comme une évidence. La pratique s’imposait à la théorie.

Le soviet s’organise dans les jours qui suivent : un délégué par groupe de 500 ouvriers. Les petites entreprises industrielles s’organisaient pour former des groupes d’électeurs. Les syndicats organisés avaient droit de représentation.

Le soviet rencontre immédiatement un écho considérable en appelant à généraliser la grève et à élire dans chaque secteur, chaque usine qui entrent dans la grève ses représentants au soviet. Dans les jours qui suivent, toute usine qui se mettait en grève nommait un représentant et l’envoyait au soviet. À la seconde séance, quarante grosses usines étaient déjà représentées, ainsi que deux entreprises et trois syndicats : celui des typographes, celui des commis de magasin et celui des comptables.

Le soviet des députés ouvriers s'impose rapidement comme la seule autorité à laquelle acceptent de se soumettre les masses ouvrières. Il devient pour les ouvriers de Petersburg leur « gouvernement prolétarien ». Il a son propre journal, les Isvestias, qui va répandre ses mots d’ordre d’un bout à l’autre du pays, pénétrer les campagnes, la plupart du temps tiré dans les imprimeries réquisitionnées et transporté sans aucune interruption grâce à l’organisation des ouvriers des transports.

Le soviet, représentatif des plus larges masses, issu de ces masses elles-mêmes, amplifiait par ses appels, démultipliait, ce que la grève imposait dans les faits : la liberté de réunion, d'association, la liberté de la presse, le contrôle de l'approvisionnement, de la production et des transports… Alors que le mouvement ouvrier révolutionnaire affichait l'objectif politique bourgeois de la convocation d'une assemblée constituante élue au suffrage universel « dans le but d'instituer en Russie une république démocratique », il mettait en place, dans les faits, son propre pouvoir, un embryon de pouvoir prolétarien, dont la direction, organe à la fois législatif et exécutif, était le soviet des députés ouvriers.

L'absolutisme tsariste, ébranlé, paralysé devant la grève générale, recule et concède une Constitution, le 17 octobre.

Dès le lendemain, le soviet déclare que : « la grève générale continue ».

Fortes de leur victoire, les masses ouvrières exigent maintenant l'amnistie de tous les prisonniers, la dissolution de la police, l'éloignement des troupes de la ville à plus de 30 kms, la création d'une milice populaire. Le recul de l'absolutisme encourage les masses, renforce leur énergie, légitime leurs revendications. Le soviet lance une campagne pour la liberté de la presse et toute forme de censure qui, avec l’appui du syndicat des ouvriers de la presse se transforme en vaste mouvement de réquisition des imprimeries pour imprimer la propagande révolutionnaire.

Après l’annonce de la Constitution, la grève reflue dans les provinces, elle perd de sa force à Moscou et à Pétersbourg. Le soviet fixe alors la reprise du travail au 21 octobre à midi. Il organise une gigantesque manifestation dans la ville. Des centaines de milliers d’ouvriers reprennent le travail en bon ordre au même moment.

Il aurait alors suffi d’une étincelle, du moindre prétexte pour qu’explose la confrontation inévitable entre les masses ouvrières et le pouvoir tsariste.

Cette confrontation, le soviet consciemment, en repoussa l’échéance. La conscience des masses ouvrières et paysannes dans le pays n’avait pas encore atteint celle de la classe ouvrière de Petersburg ou Moscou, qui avait aussi constitué son propre soviet. Et sans l’appui conscient et organisé des provinces, le renversement de l'absolutisme était voué à l'échec. Expliquant à chaque étape le rapport de force et les obstacles qu'il restait encore à franchir, le soviet fit le choix de retenir les masses ouvrières de Petersburg prêtes à l'affrontement et de reporter l'heure de la confrontation « non pas au jour et à l'heure qu'a choisis Trepov (le chef de la police), mais lorsque les circonstances se présenteront d'une manière avantageuse pour le prolétariat organisé et armé. »

La grève générale d'octobre fit la démonstration que la révolution pouvait au même moment soulever toutes les villes de la Russie, entrainer les campagnes et l’armée, et que le prolétariat en était le moteur, le seul qui pouvait conduire les masses au renversement du pouvoir.

La grève politique de masse avait mit les adversaires face à face, mais n'avait pas accompli de « coup d'Etat ». Pleins d’illusions sur la promesse de la Constitution, les bourgeois libéraux se réjouissaient du succès de la grève qui a « radicalement transformé le régime gouvernemental de la Russie ». Dans les faits, rien ne changeait : dans le nouveau « régime officiellement constitutionnel », c’était toujours la même bureaucratie, la même police et la même armée… Le régime n'avait même pas cru bon de mettre en place un parlement.

Dressés l’un contre l’autre, chaque camp se préparait à la prochaine étape.

Le mouvement révolutionnaire se concentrait sur son organisation et son élargissement aux masses les plus arriérées.
Le pouvoir tsariste, en même temps qu'il était contraint de lâcher d'une main la promesse d’une démocratisation du régime, préparait ses troupes à la contre offensive, et convoquait la réaction pour organiser une terreur noire contre les ouvriers. La lutte des classes se clarifiait, s’exacerbait.

Les cosaques, Cent-Noir, tout ce que le pays compte de réactionnaire est alors galvanisé pour orchestrer une vague de pogroms dans plusieurs villes, contre les quartiers populaires juifs et ouvriers, une véritable Saint-Barthélemy. Dans une centaine de villes, la réaction fit de 3 à 4000 morts et une dizaine de milliers de mutilés. Mais la terreur noire, loin de paralyser la classe ouvrière, provoqua un vaste mouvement d’armement des masses. En plus des réquisitions d’armureries, toutes les usines de métallurgie se mirent à la fabrication d’armes de toutes sortes. Dans les quartiers des usines, les ouvriers organisent des milices qui patrouillent en permanence et protègent les imprimeries et locaux de la presse révolutionnaire. « En s’armant pour se défendre contre les bandes noires, le prolétariat s’armait par là même contre le pouvoir impérial. »

La bourgeoisie capitaliste, les industriels, qui avait d'abord soutenu le mouvement des masses ouvrières pour la Constitution se retourna contre la révolution et les ouvriers qui, en affirmant leurs droits et en luttant pour leur existence, se dressaient maintenant contre le capital bourgeois. Ils se mirent sous la protection du tsar et rallièrent le camp de la réaction.

Les leçons qui furent tirées de ces évènements d’octobre par les militants sociaux-démocrates et les couches les plus avancées de la classe ouvrière allaient conditionner la suite : pour gagner, la révolution avait besoin de gagner à elle les soldats, de s'armer elle-même, de gagner l'appui des masses paysannes.

La grève de novembre : le mouvement gagne la campagne et l'armée

Il ne fallut pas attendre bien longtemps pour franchir cette nouvelle étape de la révolution.

Au début du mois de novembre, le mouvement continuait à gagner en profondeur, se renforçait en s'élargissant, en gagnant de nouvelles couches de la société. Les ouvriers mettaient en pratique directement l’amnistie en ouvrant les portes des prisons. L'effervescence révolutionnaire gagnait aussi l'armée, des soldats jusqu’aux officiers. Des meetings grandioses étaient organisés dans les casernes. Pour la première fois, les casernes s'ouvraient aux représentants ouvriers et aux agitateurs politiques.

Une mutinerie militaire éclate alors à Cronstadt, sur les bords de la Baltique. Une terrible répression s’abattit sur les marins, dont les meneurs furent traînés en cours martiale. La loi martiale fut déclarée dans toute la Pologne, où se trouvait alors Cronstadt et qui était sous la domination de l’impérialisme russe. Le soviet appelle à la grève générale de solidarité. Il affirmait par là la solidarité internationale des ouvriers russes et sa conviction que la révolution ne gagnerait qu’en dépassant les frontières russes et en gagnant les masses opprimées de toute l’Europe.

Petersburg fut à nouveau entièrement paralysée par la grève de solidarité, qui se prolongea durant cinq jours, eut un retentissement dans toutes les régions et gagna à la classe ouvrière la sympathie de bataillons entiers de soldats et de marins dans tout le pays. L’alliance des ouvriers et des soldats était en marche.

La grève fit reculer l’autocratie. La loi martiale et les sanctions furent levées.

Cette nouvelle puissante démonstration de force du prolétariat s'arrêta en bon ordre, à l’appel du soviet, au cinquième jour et elle fut relayée par un formidable mouvement qui se déclencha dans les usines pour la journée de 8 heures. La classe ouvrière, consciente de sa force, imposait maintenant ses conditions au capital. Le soviet relaya la revendication de la journée de 8 h qui s'imposait à tous en appelant les ouvriers à l'établir de leur propre chef en quittant l'usine les 8 heures effectuées. Le mot d’ordre partout repris était : « les 8 heures et un fusil ».

Le mouvement mettait en pratique cette conviction des bolchéviks qu’il y avait un lien profond, une unité entre la lutte sociale et la lutte politique pour la conquête du pouvoir, que les revendications économiques et l’objectif politique du pouvoir se mêlaient dans un même mouvement des masses opprimées qui entraient en lutte. Chaque lutte revendicative d’un secteur ouvrier, aussi minime soit la revendication, contribuait au mouvement politique de la classe ouvrière dans son ensemble pour la conquête du pouvoir. Les marxistes dogmatiques n’y retrouvaient pas leurs petits.

A propos de la grève des typographes qui avait été à l’origine de la grève de masse d’octobre, Trotsky disait : « Et c’est cet évènement mineur, ni plus ni moins qui a pour résultat d’ouvrir la grève générale politique de toute la Russie ; on commençait par des signes de ponctuation et l’on devait, en fin de compte, jeter à bas l’absolutisme ».

Dans le courant de novembre, le mouvement gagnait à son tour la campagne, qui adoptait ses propres méthodes de lutte : les paysans confisquaient les terres des propriétaires, prenaient les stocks, le bétail, les foins, pour ravitailler immédiatement les villages miséreux et affamés, des grèves et boycotts pour une diminution du fermage ou des augmentations de salaires éclataient partout ; les paysans refusaient de fournir des recrues à l’armée, de payer l’impôt et les dettes.

Travaillée par la propagande des militants des partis révolutionnaires, entraînée, encouragée par la grève des ouvriers des villes, la révolte s'organisait ; la volonté d’unification du mouvement paysan déboucha sur l'organisation d’un congrès de l'Union paysanne.

La question se posait alors concrètement de mener la bataille décisive pour le renversement du régime. Les tâches et l'objectif étaient clairement et publiquement définis par le soviet de Petersburg : renforcer l'organisation du prolétariat, passer à l'organisation militaire des ouvriers, à leur armement. Les mots d’ordre du soviet découlaient de la situation elle-même, du niveau atteint par la lutte de classe. Aucun des deux camps, celui de l’autocratie d’un côté et des masses ouvrières de l’autre ne pouvait plus reculer. L’affrontement était inévitable. « Il devint clair qu'il n'y avait plus de retraite possible, ni du côté de la réaction, ni de l'autre, que la rencontre décisive était inévitable, et que ce n'était plus une question de mois ou de semaines, mais bien une question de jours. » (Trotsky)

L’autocratie tsariste en prit l’initiative. Le 3 décembre, le gouvernement fit arrêter le président et tout le soviet de Petersburg.

L'autocratie tsariste à laquelle se rallièrent les derniers pans de l'opposition libérale, étendit la loi martiale. La provocation gouvernementale donnait le coup d’envoi de la confrontation.

La révolution continuait à gagner du terrain. Mais il était clair qu’elle manquait de temps, qu’elle avait encore à gagner à elle de larges masses dans le pays, dans les campagnes...

Lorsque le gouvernement fit arrêter le soviet des députés, les ouvriers de Petersburg répondirent par la grève. Le mot d’ordre de la grève est repris dans plus de trente grandes villes du pays.

Le 6 décembre, alors que l’agitation gagne la garnison de Moscou, le soviet de Moscou décide avec les partis révolutionnaires de déclarer la grève politique générale pour le lendemain, 7 décembre, avec l’intention de la transformer en une insurrection armée (il représente à cette époque cent mille ouvriers).

À Petersburg, la grève démarre massivement le 8, prend toute son ampleur dans les jours suivants ; mais le 12, elle commence à décliner.

Les ouvriers comprennent plus clairement que partout ailleurs qu’il s’agit, cette fois, non d’une simple manifestation, mais d’une lutte à mort avec le pouvoir. Les ouvriers avaient face à eux les forces militaires les plus nombreuses, les plus organisées, dont le noyau était constitué des régiments de la garde du tsar, les plus fidèles à l’autocratie. Les ouvriers de Petersburg étaient pleinement conscients qu’ils n’avaient pas les forces, seuls, de l’insurrection révolutionnaire, tant que l’absolutisme n’était pas suffisamment ébranlé par le soulèvement du reste du pays. Seule, une victoire importante en province pouvait donner aux ouvriers de Pétersbourg la confiance pour lancer l’insurrection. Mais le mouvement en province n’avait pas l’ampleur et la profondeur suffisante et, après beaucoup d’hésitations, le mouvement bat finalement en retraite dans la capitale.

C’est à Moscou que les évènements allèrent le plus loin.

Les combattants des organisations révolutionnaires et des secteurs ouvriers les plus conscients, organisés militairement en milices légères, commençaient à désarmer les policiers dans la rue, tentaient de rallier à eux les bataillons de soldats lancés dans la ville par la réaction. Certains hésitaient, se laissaient gagner, ou refusaient de tirer sur les ouvriers et rentraient dans leurs casernes. Plusieurs bataillons de Cosaques, ébranlés, firent demi-tour devant les ouvriers. La révolution, armée, déterminée, prenait l’avantage.

Des barricades sont élevées dans la ville. Du 9 au 17, pendant 9 jours, les combats de rue opposent les milices ouvrières et les bataillons rapatriés en renfort de plusieurs villes de province. Il n’y a que quelques centaines d’ouvriers armés, qui utilisent la tactique de la guérilla contre la troupe, mais une population de centaines de milliers d’habitants qui dressent des barricades, approvisionnent les combattants, paralysent la troupe par tous les moyens. Le pouvoir fait alors donner les régiments les plus disciplinés, les plus fidèles à l’autocratie. Les forces sont inégales et le 17, après 9 jours d’insurrection, mesurant le rapport des forces, le soviet de Moscou décide du repli et de la fin de la grève.

La révolution s'acheva dans le sang. On dénombra plus de mille morts dans la capitale, près de quinze mille dans l'ensemble du pays. En quelques semaines, deux mille militants furent arrêtées à Moscou. La répression anti-ouvrière gagna la Russie tout entière. Le nombre total des incarcérés et déportés dépassait 50 000 au printemps 1906.

Beaucoup de conseilleurs du marxisme ont expliqué par la suite que les bolchéviks avaient commis une erreur, qu' « il fallait éviter la lutte ». Ils n’ont fait que révéler leur incompréhension de la lutte des classes. On n'arrête pas la révolution. Dans le cours de la lutte, par deux fois, le soviet de Petersburg avait retenu les masses ouvrières et reporté le moment de l'affrontement décisif avec le pouvoir. Mais il ne faisait que le reporter pour mieux s’y préparer et l’organiser. Le mouvement avait besoin de gagner à lui et d'entraîner de nouvelles forces. En expliquant clairement le rapport de force, les intentions de l'adversaire, le soviet avait à chaque étape défini les tâches qui restaient à accomplir pour créer les conditions de la victoire. Mais le véritable rapport de force ne peut se vérifier qu'à travers la confrontation des forces en présence. On pouvait reporter une manifestation, retarder une action, mais on ne pouvait pas ajourner la révolution.

La contre-révolution

La contre révolution donna un coup d’arrêt au mouvement et se déchaîna dans les mois et les années qui suivirent. Mais le mouvement ouvrier fut loin d’être écrasé ou vaincu. Une période de recul, de démoralisation s’ouvrit, autant pour les masses que pour les militants sociaux-démocrates qui consacrèrent toutes leurs forces à construire et renforcer les bases du parti révolutionnaire de masse dont les ouvriers avaient besoin pour les luttes à venir.

***

1905 a été la première révolution ouvrière moderne, dirigée par la classe ouvrière. La classe ouvrière a fait la démonstration qu’elle était la seule classe capable d’entraîner dans la lutte révolutionnaire toutes les autres classes intéressées au renversement du pouvoir.

C’est dans cette révolution que la classe ouvrière a expérimenté pour la première fois ses propres armes, celle de la grève de masse comme outil politique, qui s’imposait comme la forme évidente de la lutte de classe elle-même. La pratique tranchait les débats politiques. Et pour la première fois émergeait de la lutte elle-même la forme d’organisation et de direction la plus démocratique qui soit, le soviet, comme embryon du pouvoir ouvrier.

Une révolution que Lénine et Trotsky qualifièrent après coup de « répétition générale » ou de « puissant prologue de 1917 ». Puisque, dès 1910, la lutte des classes redémarrait en Russie.

Christine Héraud

Introduction

Aujourd’hui, nous voulons commencer douze ans avant 1917, en 1905, par une révolution que Lénine et Trotsky qualifièrent après coup de « répétition générale » ou de « puissant prologue de 1917 ».

C’est la première révolution dans le cadre du capitalisme mondialisé, l’impérialisme, cette période de guerre et de révolutions comme le qualifiait Lénine. Pour la première fois, s’opposaient frontalement les deux classes principales de la société capitaliste : le prolétariat et la bourgeoisie.

Dans la deuxième partie du topo, nous verrons comment les travailleurs ont mené leurs grèves, mis en place pour la première fois les soviets, ces assemblées populaires démocratiques. Comment ils ont affronté à une échelle de masse le pouvoir de l’Etat tsariste, posé le problème de leur propre pouvoir, le pouvoir des classes opprimées et exploitées.

Mais d’abord, nous voulons revenir sur cette période charnière de 1905, alors qu’après des années de développement de la première mondialisation, le capitalisme impérialiste est en situation de crise, ses contradictions entrainant le monde vers la guerre.

Le mouvement ouvrier est face alors à de nouvelles tâches : les révolutionnaires doivent comprendre la nouvelle situation et trouver les réponses politiques qui sont en phase avec la lutte des classes telle qu’elle est, et construire des partis utiles à cette lutte. Quelle révolution peut naitre de cette nouvelle situation ? Comment accomplir les tâches de la révolution bourgeoise, pour la démocratie, la réforme agraire, et celles d’une nouvelle révolution moderne, celle du prolétariat, pour la fin de l’exploitation et de la propriété privée ?

Par bien des côtés, on peut trouver des similitudes entre notre situation et les questions que se posaient les militants de cette époque. Il ne s’agit pas pour nous de voir dans cette histoire des modèles pour aujourd’hui, mais de comprendre comment les évolutions de la lutte des classes ont produit leurs propres solutions, et comment les révolutionnaires ont agi au sein des événements pour leur permettre d’aller le plus loin possible.

La première mondialisation crée de nouvelles conditions pour la révolution

Pour comprendre comment et pourquoi la révolution a éclaté en Russie, il nous faut revenir rapidement sur la situation du capitalisme à cette époque de « première mondialisation », et sur la place de la Russie, que Lénine qualifiait comme « le maillon le plus faible dans la chaîne capitaliste ».

Au cours du 19ème siècle, la Révolution industrielle, la modernisation de l’agriculture et le pillage colonial, avaient assuré le développement de principalement quatre pays, l’Angleterre et la France, puis l’Allemagne et les Etats-Unis, autour de trois grandes productions industrialisées : le textile, la fonte et l’acier, et le charbon.

La soif de profits, la concurrence, poussent alors les classes dominantes des autres pays à leur emboîter le pas, essayer de les rattraper, leur concurrencer des parts de marché. Elles agissent souvent sous l’impulsion des Etats qui compensaient la faiblesse de bourgeoisies nationales peu développées, sans capital suffisant, par une intervention étatique dans l’économie, pour financer des industries nouvelles et développer des marchés publics. C’est ce qu’a connu la Russie à cette époque. Cette situation de concurrence entre pays plus ou moins avancé a été qualifiée par Trotsky de « développement inégal et combiné ». Inégal, parce que ces pays étaient pénalisés par le retard pris. Mais combiné parce qu’ils pouvaient bénéficier d’avancées techniques déjà expérimentées par les autres, et donc démarrer leur industrialisation à un niveau plus évolué.

Cette concurrence internationale et ce développement rapide ont conduit à un nouveau stade de développement du capitalisme : l’impérialisme.

Le capital se concentrait dans de gigantesques monopoles ou trusts, General Electric, Standard Oil de Rockfeller, Krupp, etc. Le capital financier des banques et le capital industriel ont commencé à fusionner, créant des groupes d’une puissance telle qu’ils pouvaient se soumettre les Etats.

La marche en avant du capital avait engagé une course folle, pour exporter les marchandises, exporter les capitaux, développer la dette des Etats, et se disputer, y compris militairement, par la guerre, des territoires pour en contrôler les matières premières, en faire des débouchés pour le capital et les marchandises.

Bien avant la 1ère guerre mondiale de 14-18 qui a été l’aboutissement barbare du partage du monde entre les puissances impérialistes concurrentes, avaient éclaté ainsi de nombreuses guerres pour se disputer des territoires en Afrique du nord (la crise de Tanger), en Afrique du Sud (Guerre des Boers), en Asie (les expéditions du Tonkin), en Amérique aussi (tentative de conquêtes des USA sur Cuba), etc. On va y revenir ensuite avec la guerre russo-japonaise de 1904-1905 qui correspond entièrement à cette logique.

Lénine, dans son livre L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, écrit un peu plus tard, en 1916, a montré comment l’impérialisme a poussé et concentré les contradictions du capitalisme à un niveau intenable :

  • • les monopoles concentraient dans un cadre encore plus étroit la propriété privée entre les mains de quelques actionnaires en même temps qu’ils socialisaient la production à une échelle mondiale ;
  • • ils créaient dans les faits une classe ouvrière à une échelle internationale bien plus large que celle des quatre pays des débuts du capitalisme industriel ;
  • • la dette et les crédits d’Etat rendaient ceux-ci dépendant des groupes financiers ;
  • • l’expansion coloniale et les conquêtes mettaient à mal les Etats et classes dominantes des pays dominés, tout en ayant besoin de ces Etats et de ces classes pour maintenir l’ordre et piller les peuples.

Trotsky écrivait pour décrire cette situation : « Plus d'un demi-siècle s'est écoulé depuis 1848, plus d'un demi-siècle de conquêtes incessantes du capitalisme dans le monde entier ; plus d'un demi-siècle pendant lequel la bourgeoisie a manifesté sa soif démente d'une domination pour laquelle elle n'hésite pas à se battre avec férocité. [...] En liant tous les pays entre eux par son mode de production et son commerce, le capitalisme a fait du monde entier un seul organisme économique et politique. ».

Là se situe le profond changement lié à l’impérialisme : l’interdépendance de toutes les économies, l’extension de la lutte des classes à une échelle internationale, opposant des bourgeoisies concurrentes entre elles, mais menant une même lutte de classes contre une classe ouvrière ayant les mêmes intérêts dans tous les pays, ce qui créait de nouvelles conditions pour une révolution mondiale.

La Russie tsariste, un régime miné par ses contradictions

Dans cette situation, quelle était la place de la Russie ?

La Russie tsariste du début du 20ème siècle est présentée souvent comme un pays particulièrement arriéré, en retard par rapport aux autres pays européens. En quelque sorte, un pays à part… mais la révolution a montré qu’avec la mondialisation de l’époque, il n’y avait déjà plus de pays « à part ».

Mais l’économie russe alliait l’industrie la plus concentrée de l’Europe à l’agriculture la plus primitive. Et certaines communautés pouvaient vivre au stade de la pêche et de la cueillette dans un pays où grandissaient les villes les plus modernes.

Au tournant du siècle, le pays compte environ 150 millions d’habitants, avec une très forte croissance. 87 % d’entre eux vivent à la campagne, 82 % sont des paysans. Le servage n’a été aboli que depuis les années 1860. Les techniques agricoles sont rudimentaires, les rendements sont très faibles. Les famines sont encore fréquentes, comme en 1891-1892, où elle fait plus de 100 000 morts. 15 % des paysans n’ont aucune terre pour travailler. 40 à 50 % des familles paysannes ont un revenu inférieur à ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui le « minimum vital ».

A l’opposé, 140 000 familles nobles, soit moins de un millième de la population, possèdent un quart de toutes les terres de Russie. Un comte formulait ainsi le programme politique de cette classe de grands propriétaires terriens : « Que votre devise et votre mot d’ordre soient : [on ne touchera] pas un pouce de nos terres, pas un grain de sable de nos champs, pas un brin d’herbe de nos prairies, pas une souche de nos forêts ! ».

Le blocage de l’agriculture à l’état le plus arriéré, rendait impossible tout développement d’une petite économie capitaliste, et par là, impossible aussi de réformer la situation des paysans. C’est une des contradictions qui explique que les révoltes paysannes, la lutte pour la terre, ont été au cœur des révolutions russes de 1905 et 1917.

Mais cette arriération de l’agriculture ne rend compte que d’une partie de la réalité car l’économie russe est aussi celle de l’industrialisation la plus moderne.

C’est l’intervention de l’Etat tsariste dans l’économie qui a entrainé une modernisation rapide de l’industrie, à très grande échelle, notamment par les commandes d’armement, une politique économique liée à l’expansion impérialiste de cet Etat contre les peuples voisins. Le budget militaire absorbait une part énorme du budget total de l’Etat pour entretenir une armée pléthorique d’un million de soldats. L’Etat était devenu le principal entrepreneur et banquier, détenant même pendant un temps le monopole des chemins de fer et de l’eau-de-vie. Pour des raisons militaires, il a développé le chemin de fer et le télégraphe sur le territoire, amenant d’un coup la modernité la plus avancée à des campagnes qui vivaient comme au Moyen-âge. A la fin du 19ème siècle, le réseau ferré atteint plus de 30 000 kilomètres, faisant travailler près de 700 000 personnes. Les ministres et financiers promoteurs de ce développement express, tous ces gens dupes de leur pouvoir, ne se doutaient même pas qu’ils favorisaient ainsi les moyens de communication et la propagation et les forces de la révolution.

L’impression que donnait cette puissance étatique, celle de l’autocratie tsariste, avec sa bureaucratie et sa police innombrables, était au contraire que toute révolution semblait impossible en Russie. En réalité, c’est le contraire qui se produisit, parce que cette puissance reposait sur des contradictions insolubles.

Pour financer le militarisme, les impôts sur les paysans et classes populaires étaient très lourds et ne suffisaient pas. L’Etat a dû avoir recours aux emprunts étrangers, au point qu’au début du 20ème siècle, le remboursement des seuls intérêts de la dette absorbe un tiers des revenus de l’Etat. Pour les petits bourgeois européens soucieux de valoriser leur épargne, comme certains disent, la Russie était le paradis des capitaux, comme avec les fameux emprunts russes.

Pour financer le développement industriel, les capitaux européens se précipitent en Russie, comme un véritable torrent d’or. Trotsky rapporte par exemple qu’entre 1840 et 1850, l’entreprise allemande Knopp « transporta en Russie, jusqu’au dernier boulon, le matériel de 122 filatures. Dans les régions du textile, circulait ce dicton : ‘A l’église, c’est le pope ; à la fabrique, c’est Knopp’ ». Et le même phénomène se produisit aussi dans la métallurgie et l’extraction du pétrole.

Les capitaux sont attirés par les profits qu’ils pouvaient réaliser dans ce pays où la dictature imposait aux ouvriers des journées de travail interminables et des salaires bien plus pas qu’en Europe et en Amérique. L’exploitation était d’autant plus brutale que le régime publiait des décrets extrêmement répressifs, comme celui-ci, en 1897, affirmant que l’inspection du travail condamnerait à des peines administratives les directeurs d’usine qui cèderaient aux revendications de grévistes !

L’industrie la plus massive et concentrée se développait à très grande vitesse, et avec elle le prolétariat moderne.

Par exemple, à la fin du 19ème siècle, sur 3 millions d’ouvriers d’industrie, 11 % à peine travaillent dans des petites entreprises de moins de 50 personnes, tandis que plus de 40 % travaillent dans des usines de plus de 1000 salariés. A titre de comparaison, en Allemagne au même moment, seuls 10 % des ouvriers travaillent dans des usines aussi grandes. Et ces trois millions d’ouvriers produisent la moitié du revenu du pays.

Avec la grande industrie, c’est aussi la ville moderne qui s’est développée, concentrant des centaines de milliers de prolétaires de toutes les catégories : ouvriers d’industrie, du commerce, des services, l’immense masse aussi des domestiques au service de l’aristocratie. Cette concentration urbaine a été un des facteurs expliquant le poids politique déterminant de la classe ouvrière dans la révolution par rapport à une paysannerie bien plus nombreuse, mais disséminée dans les campagnes.

Le régime tsariste était devant des contradictions insolubles, impossibles à réformer. Non seulement, le régime ne pouvait permettre ni aucune transformation de l’agriculture, ni aucun développement progressif d’un petit capitalisme de classes moyennes, ni aucune réforme démocratique réelle, mais il avait en plus perdu le contrôle du développement capitaliste qu’il avait initié, en devenant dépendant des capitaux européens. Et le développement capitaliste avait augmenté vigoureusement les forces et les moyens de la révolution.

Les grèves à l’origine de la révolution

Cette nouvelle classe ouvrière, nombreuse et concentrée dans des villes, jeune, durement exploitée et vivant dans un Etat répressif permanent a mené de nombreuses grèves.

Après des années de grèves sporadiques, isolées, tout au long des années 1870 et 80, pour la première fois, éclate une grève générale en mai-juin 1896. 40 000 ouvriers et ouvrières du textile de St Petersburg luttent ensemble notamment contre des journées de travail de 13, 14, 15h selon les usines et contre le salaire aux pièces. La goutte d’eau, c’est quand les patrons imposent trois journées de chômage non payées pour célébrer le couronnement de Nicolas II. Ainsi ce tsar a commencé sa carrière par une grève générale... et il la finit en 1917 par une révolution !

Cette première grande lutte coordonnée des travailleurs en Russie fut écrasée, avec plus d’un millier de militants ouvriers, arrêtés et déportés. Mais dès le mois de janvier suivant, en 1897, la grève éclate à nouveau, et cette fois, le régime cède et accorde à tous les ouvriers du pays la journée de travail de 11h30 !

Alexandra Kollontaï, militante socialiste, souligne le rôle des ouvrières dans cette période « À la fin des années 1890 et au début du XXe siècle, il y eut de nombreux troubles et une série de grèves dans les usines qui employaient principalement le travail féminin : à l’usine de tabac de Chapchal, dans les filatures Maxwell à Saint-Pétersbourg, etc. Le mouvement ouvrier russe se renforça et devint plus organisé. L’opposition du prolétariat féminin au régime tsariste grandit elle aussi. Un solide instinct de classe amena les ouvrières à soutenir les grèves ; elles étaient souvent responsables de l’initiation et de la conduite des grèves. »

Cette première grève générale aura des répercussions jusqu’à la révolution de 1905, neuf ans plus tard. D’autres grèves éclatent à Batoum dans le Caucase en 1902, à Bakou, dans le secteur du pétrole, toujours dans le Caucase en 1903-1904. Le puissant mouvement de 1896 va se répercuter comme une onde de choc et provoquer de multiples répliques touchant de nombreuses villes ouvrières.

Une nouvelle génération révolutionnaire

Les militants sociaux-démocrates sont engagés dans ces luttes. Ils participent à la naissance de cette situation nouvelle où le prolétariat moderne s’affirme comme une force sociale et politique capable de faire reculer le tsarisme, bien au delà de tout ce qui avait été possible dans les décennies précédentes.

Pendant des années, les militants révolutionnaires avaient été contraints à la clandestinité, arrêtés dès qu’ils étaient repérés.

Pour résumer à grands traits l’histoire des révolutionnaires en Russie, on peut dire que les premiers d’entre eux ont été les « Narodnikis », les « populistes », un mouvement des années 1860, issu de la paysannerie et de la petite bourgeoisie, défendant un socialisme paysan. Ce courant a évolué pour une part vers des petits groupes terroristes, qui réussirent à assassiner le tsar Alexandre II en 1881, et d’autre part vers des partis politiques comme les « socialistes-révolutionnaires » qui voyaient la classe paysanne comme la force motrice de la révolution.

A partir des années 1880, des militants commencent à construire une organisation marxiste en Russie « L’émancipation du travail ». Georges Plekhanov traduit et diffuse les œuvres de Marx. Opposé aux socialistes-révolutionnaires et à l’action terroriste clandestine, ils défendent l’idée que le développement du capitalisme prépare les conditions d’une révolution socialiste ouvrière, et non paysanne.

Avec la montée des grèves, de nouveaux problèmes se posent et les débats sont vifs parmi les militants révolutionnaires qui ont pu construire de nombreux cercles militants dans la plupart des villes ouvrières. C’est d’ailleurs dans la foulée de la vague de grève que les groupes marxistes vont réussir à s’organiser et lancer un journal pour toute la Russie, « L’Iskra », cela veut dire « l’étincelle » en 1901. Un journal qui proclame avec ambition que de « l’étincelle jaillira la flamme ».

Subjugués par la grève de masse et la puissance de la classe ouvrière, un courant « spontanéiste » se développe. Il théorise que les luttes se suffisent à elles-mêmes et qu’il fallait qu’elles restent sur le terrain économique. Ils pensent par exemple que « les caisses de grève valent mieux pour le mouvement qu'une centaine d'autres organisations ». Le seul objectif devait être la « lutte pour la situation économique », « les ouvriers pour les ouvriers », « l’autolibération » de la classe ouvrière. Et ces raisonnements étaient accompagnés d’une certaine démagogie contre les intellectuels socialistes. Tout cela conduirait naturellement à renverser le régime… sans poser les tâches de la construction d’un parti, d’une propagande nécessaire sur le terrain politique, pour la conquête des droits démocratiques, pour s’affronter à l’Etat, poser la perspective du pouvoir. Par bien des côtés, on peut retrouver des débats que nous pouvons avoir avec les « mouvementistes » d’aujourd’hui qui rejettent les partis et la politique.

D’autres militants s’en tenaient eux-aussi à la « lutte économique », c’est-à-dire syndicale, pensant que la seule perspective pour les travailleurs était de se limiter à gagner des droits, tant que le tsarisme n’aurait pas été renversé par une révolution bourgeoise qui instaurerait une république démocratique.

Lénine et ceux qui allaient constituer le courant bolchevik menèrent la bataille pour montrer que le « spontanéisme », comme « l’économisme », en renonçant à mener la bataille politique pour le pouvoir, se condamnaient à rester dépendant politiquement des courants réformistes.

Lénine expliquait alors que la grève devait être comprise comme « l’école de la guerre », l’apprentissage de la lutte de classe pour le pouvoir, et pas comme un moyen limité à la négociation d’un rapport de force de type syndical. Pour lui, il fallait trouver les moyens d’« unir la lutte gréviste au mouvement révolutionnaire » en faisant une large propagande socialiste dans la classe ouvrière, c’est-à-dire en faisant le lien entre les revendications « économiques » et la lutte pour les libertés politiques, contre les rapports d’exploitation, pour une transformation révolutionnaire de la société, la lutte pour construire au sein de la classe ouvrière un parti porteur de ce programme.

Cette façon de penser l’unité de la lutte sociale et de la lutte pour le pouvoir est un des acquis déterminants de l’expérience du courant bolchevik.

Au même moment, dans la IIème internationale, l’association qui regroupaient tous les partis qui se réclamaient du socialisme, ces deux questions étaient séparées avec d’un côté, un « programme minimum » pour les luttes et les élections, et d’un autre un « programme maximum » pour le socialisme, sans lien entre les deux.

Quelle révolution en Russie ?

Le prolongement de cette discussion, c’est aussi la question de la révolution.

Pour nombre de partis de la IIème internationale, dans le reste de l’Europe, la révolution était vue comme une perspective lointaine, une affirmation de principe, un positionnement moral, pour dire qu’on ne voulait plus de ce monde. Un jour viendrait où les conditions seraient mûres... mais pour eux ce n’était certainement pas le cas dans la Russie tsariste où la révolution bourgeoise n’avait pas encore eu lieu. Ce raisonnement était aussi le produit d’une adaptation du mouvement ouvrier en Allemagne et en France. Dans ces pays, la classe ouvrière avait conquis des droits, ses syndicats s’étaient peu à peu développés, ses partis avaient fait élire des maires et des députés... Sur la base de ce développement lent et puissant... c’était les conceptions réformistes qui prenaient le dessus.

Lénine et Trotsky avaient une toute autre philosophie. Ils ne voyaient pas le programme révolutionnaire comme une affirmation de principe, mais comme la compréhension et l’action au sein des processus qui travaillent la lutte de classe et conduisent vers la révolution. Des processus à travers lesquels les masses prennent conscience de la possibilité de changer leur sort, et aussi des voies et des moyens pour le faire elles-mêmes.

Nous avons montré comment la période d’avant 1905 est une période charnière qui a posé aux révolutionnaires le problème de comprendre quel développement allait connaître la lutte de classes, vers quel type de révolution, bourgeoise ou prolétarienne, pour la république ou pour le socialisme, alors même que le développement du capitalisme avait transformé en profondeur toute la société. Il ne s’agissait pas d’une discussion abstraite, mais d’une question de stratégie pour construire un parti capable de peser dans les événements au moment où la classe ouvrière avait montré ses capacités de mobilisation.

Ce sont ces débats qui étaient au cœur des congrès des militants russes et qui ont abouti à la séparation entre deux courants, les bolcheviks et les mencheviks.

Pour les militants qui constituent le courant des mencheviks la période des révolutions bourgeoises n’est pas terminée. La classe ouvrière se bat pour ses droits, mais il n’est pas possible qu’elle engage une révolution pour le socialisme. Il lui faut d’abord lutter en s’alliant avec la bourgeoisie libérale, pour imposer des droits démocratiques et sociaux au sein d’une république bourgeoise, pour se développer dans ce cadre et aller un jour vers le socialisme.

La démarche de Lénine était toute autre que celle des mencheviks. Comment la classe ouvrière qui luttait par les grèves contre l’union des patrons et de l’Etat tsariste pouvait-elle, par ailleurs, s’allier aux bourgeois contre le tsarisme ? Cela n’avait pas de sens. Il s’agissait bien pour les socialistes de formuler une perspective révolutionnaire indépendante pour le prolétariat.

Par ailleurs, comment la classe ouvrière, minoritaire dans ce pays, pouvait-elle agir pour une révolution victorieuse ? Cela paraissait impossible à Lénine qui cherchait une solution dans l’état réel de la lutte des classes. Il formula une autre hypothèse pour la révolution : une « dictature démocratique des ouvriers et des paysans » qui n’irait pas jusqu’au socialisme mais qui constituerait une perspective pour les deux seules forces sociales qui avaient tout intérêt au renversement du tsarisme.

Dans cette discussion, Trotsky était d’accord avec Lénine pour s’opposer au raisonnement des mencheviks. D’accord aussi pour comprendre que dans le cadre de l’impérialisme, une révolution ouvrière ne pouvait être qu’internationale, et que si elle restée isolée dans un seul pays, elle ne pouvait pas réussir.

Mais il pensait que l’hypothèse de Lénine était « irréalisable » parce que la paysannerie était trop éclatée, avec des intérêts divers, pour constituer une force sociale capable de mener une révolution jusqu’à l’instauration de son propre pouvoir, à égalité avec le prolétariat.

Trotsky a poussé jusqu’au bout l’analyse du rôle de plus en plus important qu’exercèrent les ouvriers dans les grands centres industriels de la Russie, qui, même minoritaires à l’échelle du pays, pesèrent sur la lutte des classes bien plus que toutes les autres forces qui avaient contesté le tsarisme auparavant. Il formule alors la théorie de la révolution permanente qui considère le prolétariat comme la force centrale et directrice de la révolution : « La Révolution russe, va, selon nous, créer les conditions dans lesquelles le pouvoir pourra passer aux mains du prolétariat avant que les politiciens du libéralisme bourgeois aient l’occasion de développer pleinement leur génie d’hommes d’État. [...] Le prolétariat en possession du pouvoir apparaîtra à la paysannerie comme une classe émancipatrice ». Il poursuit : « en entrant dans le gouvernement, non pas en tant qu’otages, impuissants, mais comme force dirigeante, les représentants du prolétariat vont par cet acte même [...] mettre le collectivisme à l’ordre du jour ».

C’est la lutte des classes qui a donné sa réponse à ses débats.

La Guerre Russo-Japonaise, fuite en avant et facteur déclencheur

Dans la situation de blocage dans lequel le tsarisme se trouvait, incapable de permettre un développement économique de toute la société, le régime tsariste n’avait trouvé de solution que dans une fuite en avant expansionniste.

L’Empire russe compte alors plus de 80 « gouvernements » et soumet plus d’une centaine de peuples différents, dont les Russes représentent environ 45%. Tout au long du 19ème siècle, il s’étend en imposant sa domination sur les territoires de la Pologne, de la Finlande, en Géorgie, en Azerbaïdjan, en Arménie, au Kazakhstan, et bien d’autres.

Mais avec la guerre russo-japonaise, l’impérialisme russe rencontre un échec majeur. Le conflit commence en février 1904 et dure jusqu’en septembre 1905. Par bien des côtés, il annonce la 1ère guerre mondiale qui va éclater dix ans plus tard. Il s’agit là aussi d’une guerre impérialiste pour conquérir des territoires, l’Etat russe étant engagé dans une expansion à l’extrême orient pour conquérir un accès à l’océan Pacifique, comme d’ailleurs toutes les puissances européennes qui mènent bataille à la fin du 19ème siècle pour s’imposer en Asie.

La Chine affaiblie n’a pas les forces pour s’opposer à l’impérialisme européen. Le Japon modernise son armée pour faire face aux puissances européennes et conquérir des territoires. Quand l’Empire russe avance encore ses troupes pour contrôler la Mandchourie et la Corée, c’est un cran de trop pour l’Empire japonais. Il déclenche une attaque sur Port-Arthur, une ville portuaire clé pour le commerce maritime, ouvrant sur la Mer de Chine. La guerre commence. Plus de deux millions de soldats s’affrontent, avec des moyens techniques modernes du côté du Japon, une armée mal équipée et une flotte vieillissante du côté russe. Au cours de ces 18 mois de guerre, la Russie perd de nombreuses batailles. Elle est obligée d’abandonner Port-Arthur en janvier 1905, et la révolte populaire contre la guerre qui a été aussi un des facteurs de la révolution, l’obligera à négocier sa défaite, en septembre 1905, avec le Japon qui s'approprie la Corée, la région de Port-Arthur et une partie des îles Sakhaline. Les Russes doivent évacuer aussi la Mandchourie du Sud, rendue à la Chine.

Pour la première fois dans l'histoire contemporaine, une vieille puissance européenne est vaincue face à une nouvelle puissance asiatique. Surtout, le régime tsariste est profondément ébranlé, il a révélé à quel point il était parasitaire et affaibli.

Ça a été un élément clé de la crise politique à l’origine de la révolution... dont on va parler maintenant dans la deuxième partie.

François Minvielle