CONF PRESSE CONGRES

ema nos vies

MAGNA

anticap revo

Réunion – débat du 7 novembre 2019 - Introduction Daniel Minvielle et Monica Casanova

 

On va discuter ce soir des évènements qui se déroulent en ce moment au Chili.

Mais avant que Mónica fasse son introduction sur ce sujet, il nous a semblé nécessaire de faire un point sur le contexte international, où une multitude de mouvements de contestation sociale très puissants explosent et s’enchainent. Au Chili, au Liban, en Irak, en Algérie, en Catalogne, etc… La liste est longue… On peut d’ailleurs y ajouter, ici, le mouvement des Gilets jaunes, celui des urgences, de la RATP, de certains centres de cheminots. Certes, on est loin du degré de généralisation et de puissance de ce qui se passe au Chili et ailleurs, mais c’est bien du même ras-le-bol qu’il s’agit, de la même conscience qu’il n’y a pas d’autre solution, pour défendre ses intérêts, que de prendre, collectivement, ses affaires en main.

Chacun de ces mouvements a ses caractéristiques propres, des facteurs déclenchants particuliers. Et certains commentateurs voudraient bien cantonner la discussion à ces spécificités : le « Chili » réglant ses comptes avec la dictature de Pinochet et le néolibéralisme ; le « Liban » avec la forme d’un pouvoir fondé sur les équilibres religieux ; l’ « Algérie » avec le système mis en place par Bouteflika and c° ; Hong Kong contre la mainmise du pouvoir de Pékin, etc. Tout cela existe, bien sûr, et il est nécessaire d’en discuter, comme nous allons le faire ce soir pour le Chili.

Mais chacun de ces mouvements s’impose surtout comme un élément d’un mouvement mondial de révolte de la jeunesse, des classes populaires et des travailleurs contre la politique mondialisée des capitalistes et de leurs Etats. Un mouvement dans lequel s’intègrent également les mobilisations des jeunes pour le climat, celles des femmes pour leurs droits. C’est une étape nouvelle dans un processus commencé en 2011 en réaction aux les effets de la crise de 2007-2009 et des politiques qui ont suivi : Printemps arabe, manifestations et grèves en Grèce contre les plans de la Troïka, les indignés en Espagne, Occupy Wall Street aux USA… La lutte des 99 % contre les 1 % se poursuit et s’étend. Et elle s’accentue en même temps que s’accentue la guerre menée par le capitalisme financiarisé mondial contre les travailleurs et les peuples, partout sur la planète.

La preuve de ce point commun entre les divers mouvements, on la voit dans les scènes des manifestations que les télévisions transmettent. Partout, ce sont les mêmes revendications sociales, l’exigence d’un travail, d’avoir les moyens de vivre. Partout, aussi les slogans contre la corruption, pour le départ des dirigeants politiques, l’aspiration à une véritable démocratie. Les revendications sociales sont indissociablement liées aux exigences démocratiques.

Nous savons bien que les classes dominées, y compris les dites « classes moyennes », n’ont jamais eu le moindre contrôle démocratique sur le fonctionnement de la société. Mais cela ne les empêche pas de penser le contraire, c’est-à-dire d’avoir l’illusion que l’Etat peut assurer une certaine protection des plus pauvres face à la rapacité des riches. Ou encore celle que nos intérêts pouvaient être, plus ou moins, défendus par ce qu’on appelle la « gauche » dans le cadre des institutions étatiques.

Ces illusions tombent face à la réalité des politiques menées. Elles sont remplacées par la prise de conscience, de plus en plus partagée, de compter pour rien dans les décisions prises par les Etats et les patrons, sinon en tant que vache à lait. C’est pour cela que les gens descendent en masse dans les rues pour porter leurs exigences, qu’ils font face aux forces de répression avec la détermination de celles et ceux qui n’ont plus rien à perdre. Même s’ils n’en ont pas clairement conscience, en affirmant qu’ils ne comptent que sur leurs mobilisations pour obtenir de qui leur est dû, c’est l’ensemble du système qu’ils remettent en cause. En revendiquant une véritable démocratie, ils posent la question de la révolution, mot qu’ils n’hésitent d’ailleurs pas à utiliser. Ils ont raison. Parce qu’il de peut y avoir de véritable démocratie sans un changement révolutionnaire de la société.

Cette flambée des luttes résulte de la situation dans laquelle se trouve plongé le capitalisme  : croissance en panne voire menaces de récession, guerres commerciales dues l’exacerbation de la concurrence qui découle de la stagnation économique, fuite des capitaux dans la spéculation, préparant de nouveaux effondrements, destruction des écosystèmes… C’est le produit de trente années d’une offensive généralisée contre les travailleurs pour restaurer les taux de profit, associée à l’expansion mondiale du capitalisme à travers la libre circulation des capitaux et la transformation des grandes entreprises des puissances impérialistes en multinationales. C’est ainsi que la grande bourgeoisie internationale a répondu à la crise des années 1970, non pas par choix entre plusieurs politiques possibles, « néolibéralisme » contre « keynésianisme » comme l’expliquent les courants antilibéraux, mais par nécessité, parce qu’elle n’avait pas d’autre solution dans le contexte de l’époque.

Ces trente années de « globalisation » du capitalisme ont profondément changé le monde. Elles ont aussi abouti à la crise de 2007-2009.

Dix ans après cette crise, le système économique et social qui impose sa dictature à des milliards d’êtres humains, le capitalisme financiarisé mondial, s’avère incapable de résoudre ses propres contradictions. Et c’est ce qui nous fait dire qu’il est en faillite, ou tout au moins au bord de la faillite. Il ne se maintient en vie que sous la perfusion permanente des banques centrales, par l’endettement généralisé, par le pillage effréné des ressources naturelles et par l’aggravation permanente de l’exploitation du travail humain. D’un côté s’accumulent des fortunes inimaginables, les cours des actions flambent et de l’autre s’accroissent les inégalités, la précarité, le chômage et la misère.

C’est une logique destructrice, à l’œuvre dans l’ensemble de la planète. Et cette logique conduit nécessairement inexorablement aux affrontements sociaux.

C’est le meilleur signe qu’une nouvelle époque s’est ouverte avec la crise de 2007-2009, la perspective d’une nouvelle ère de révolutions sociales dont les flambées de contestation actuelles sont les prémices. C’est ce que nous montre l’émergence, avec une force et une généralisation à l’échelle mondiale inconnue jusqu’ici, de la volonté des classes exploitées et opprimées, de la jeunesse, des femmes à trouver une issue par elles-mêmes à la situation qui leur est faite. Cette puissante vague de contestations est le produit de la situation globale du capitalisme, une des conséquences directes de son incapacité à trouver une issue à son propre enlisement, ainsi qu’à l’impuissance et à la corruption des politiciens qui le servent.

Elle porte en même temps la seule issue possible, révolutionnaire, à cette impasse.

La bourgeoisie en a bien conscience, et partout, les manifestants se heurtent au pouvoir d’Etat et à la violence de sa répression. Et ces Etats ne reculent devant rien pour maintenir ce qu’ils appellent « l’ordre social ».  On l’a vu dans les contre-révolutions qui ont répondu, après 2011, au Printemps arabe. On le voit aujourd’hui à Hong Kong, en Irak où la répression a fait plus de 280 morts, selon les derniers décomptes, etc.

Concernant le Chili, Mónica développera. Je vais quand même citer Piñera. Il déclarait, au début du mouvement, être « en guerre contre un ennemi puissant ». Il y a eu une envolée d’indignation dans les réseaux sociaux et certains journaux contre ces propos, et depuis Piñera s’en est « excusé ». Ses excuses sont bien sûr du pipeau, une manœuvre pour tenter d’endormir l’ennemi.  Mais s’indigner contre le cynisme de l’individu ne sert à rien. Au contraire, en s’indignant contre le mot, on se masque la réalité, on s’empêche de se préparer à y faire face. Car c’est bien d’une guerre qu’il s’agit, une guerre de classe dont l’enjeu n’est pas seulement d’arracher des concessions ou de changer le personnel politique, mais celui d’une révolution sociale, à l’échelle de la planète.

Ce qui se joue à travers ces affrontements, c’est la lutte de la classe ouvrière contre les classes dominantes et leurs Etats, qui ne reculeront devant aucun massacre pour maintenir leur domination. Les jeunes, les travailleurs, les classes laborieuses ont absolument besoin d’en prendre conscience. La bourgeoisie et ses Etats n’ont et ne feront jamais aucun quartier lorsqu’il s’agit de sauver leur domination de classe.

Face à cette réalité, il est indispensable que celles et ceux qui s’affrontent au pouvoir de la bourgeoisie disposent d’une politique définissant clairement les enjeux, les perspectives. Une politique capable de déjouer les risques, les menaces et les pièges ainsi que de rassembler leur camp, celui des opprimés, autour d’un objectif commun, la conquête du droit de décider. Une telle politique ne peut émerger spontanément des luttes. Ou plutôt les idées qui en émergent ont besoin d’un parti pour se structurer, se transformer en conscience de classe, se donner un programme pour les luttes, pour la prise du pouvoir, pour la transformation révolutionnaire de la société.

C’est pourquoi il est urgent pour les militants anticapitalistes et révolutionnaires, du moins ceux qui pensent qu’un tel parti est indispensable, les militants qui se revendiquent du marxisme, de prendre la mesure des évènements, de leur accélération. L’amplification et la radicalisation des mobilisations à l’échelle internationale rend de plus en plus urgente la construction de cette force organisée. C’est à dire d’un parti qui soit capable de formuler et mettre en œuvre une politique pour la classe ouvrière, internationaliste, démocratique et révolutionnaire. Une politique qui soit une arme dans un combat de classe qui est engagé, à l’échelle internationale, depuis bientôt dix ans. Cette urgence se pose partout, ici comme au Chili… dont Mónica va maintenant nous parler.

Daniel

Les affrontements au Chili

La situation au Chili est l’expression de la mondialisation de la contestation dans la nouvelle période dont Daniel vient de parler, et de ce fait, montre l’impérieuse nécessité d’un parti révolutionnaire.

Le mouvement qui secoue le pays depuis le 17 octobre dernier n’est pas né que d’une augmentation (la 3ème en un an !) de 4 centimes du ticket de métro, même si elle s’ajoute à d’autres, comme celle de l’électricité. Lorsque le Ministre de l’Économie s’est permis de dire aux très nombreux usagers du métro de Santiago que s’ils ne voulaient pas d’augmentation, ils n’avaient qu’à se lever encore plus tôt pour bénéficier de tarifs réduits, cela a été la goutte qui a fait déborder le vase. En effet, le transport est la 2ème dépense des Chiliens. Et le métro, qui s’est beaucoup étendu au fil des années, en reliant de plus en plus de quartiers relégués avec le centre-ville, a révélé les inégalités de plus en plus flagrantes entre les habitants de la métropole.

A l’injustice sociale s’est ajouté le mépris d’un personnel politique haï, tel le président Piñera. Ce milliardaire de droite, un des plus riches du pays avec une fortune estimée à 2,7 milliards de dollars, est aussi un champion de la corruption, ayant ouvertement bénéficié d’évasion fiscale, sans bien sûr être inquiété. Des membres d’un parti allié au sien, l’UDI, pris la main dans le sac dans des affaires de corruption, n’ont été condamnés qu’à « suivre des cours d’éthique » !

Alors, le 17 octobre, des milliers de lycéens se sont donnés le mot sur les réseaux : ils allaient resquiller le métro ensemble avec le mot d’ordre très vite devenu viral sur les réseaux sociaux : « S’évader, ne pas payer, une autre façon de lutter », eux qui ne payent pas le ticket de métro mais sont solidaires des autres, en particulier des travailleurs qui le font, en faisant allusion bien-sûr à l’évasion fiscale du président. Le 18 octobre, celui-ci a quitté la cellule d’urgence réunie le soir même pour rejoindre l’anniversaire de son petit-fils dans un restaurant huppé. Il a fini par ordonner d’envahir les stations par des policiers et des chiens anti-émeutes, les arrosant de gaz lacrymo. Du coup, le 18 au soir, toutes les stations ont été fermées, certaines même totalement incendiées, et des supermarchés ont été pillés.

Les parents, grands-parents des jeunes, les travailleurs et habitants empêchés de rentrer chez eux en masse ont alors rejoint la révolte des jeunes. Ce soir-là, dans les quartiers, les poblaciones, cela a été un concert de casseroles, des cacerolazos, expression typique de la colère.

Et alors que le gouvernement imposait l’état d’urgence et le couvre-feu, d’autres ont rejoint le mouvement, cette fois contre l’arrivée de l’armée avec ses blindés dans les rues et la multiplication d’arrestations musclées et d’exactions, dont des tirs à balles réelles sur des manifestants désarmés. Cela rappelait ouvertement la dictature de Pinochet, la liquidation de toutes les libertés, la répression, les tortures (les « abus ») de la part de militaires épargnés par tous les régimes. Les plus anciens n’ont pas oublié que l’armée est un corps privilégié, le seul à n’avoir jamais contribué à la retraite par répartition. Une armée bénéficiaire par la loi de 10% des bénéfices de l’unique compagnie de cuivre encore étatisée, la CODELCO. Et qui n’a pas hésité à recommencer à torturer en toute impunité dans une station de métro de Baquedano ou dans des magasins mis à sac.

Mais contrairement à l’époque de la dictature, le couvre-feu a été détourné tous les soirs ; à partir de 18h, dans les quartiers populaires surtout, résonnaient les casseroles et les fêtes défiant le pouvoir. Et pour la première fois dans l’histoire du pays, comme en France avec les Gilets jaunes, les manifestations sont allées jusque dans les quartiers les plus chics, ce qui a fait dire à la femme de Piñera le 18 octobre dans un coup de fil paniqué qui a fuité, que les « aliens » étaient là !

Comme quelques jours avant en Équateur, au Panama, en Haïti ou au Honduras, comme au Liban ou en Irak et même en France, la colère, la rage même contre les injustices sociales, le mépris du gouvernement et en plus, la répression et l’impunité de l’armée ont violemment explosé et se sont étendues comme une traînée de poudre.

A l’heure qu’il est, suite au mouvement dont 2 grèves générales dans tout le pays, l’une des plus grandes manifestations du Chili le 25 octobre avec 1 million de personnes dans la rue, mais aussi une vingtaine de morts non encore identifiés et plus de 2000 blessés et 4000 arrestations, le gouvernement a renoncé à augmenter le prix du ticket de métro. Il a suspendu l’état d’urgence et le couvre-feu. Piñera a fait son prétendu mea culpa et un remaniement ministériel qui a fait flop en promettant des aménagements à sa politique mais toujours sous forme de subventions publiques au privé comme, par exemple, baisser le prix des médicaments en indemnisant les grands groupes pharmaceutiques ! Et il ne pourra plus organiser les sommets de l’APEC et de la COP 25.

Mais la colère extrêmement profonde ne s’éteint pas. Car ses causes remontent à loin, et aucune d’entre elles n’a trouvé ni ne peut trouver de solution dans le cadre institutionnel. Ces causes, à la fois économiques et politiques, posent le problème de qui contrôle l’économie et l’État.

Ces causes sont d’abord économiques. Le Chili est un des pays les plus inégalitaires au monde. Aujourd’hui, la moitié des Chiliens survit avec à peine 300 € par mois (la moitié pour les retraités) tandis que 1 % des plus riches (170 000 personnes) concentrent 33 % de la richesse totale. Ces inégalités sont le fruit du pillage de ses richesses, car c’est un pays qui dépend essentiellement de l’extraction du cuivre (3ème exportateur mondial) qui, pour le plus grand profit la bourgeoisie chilienne, est détenu aux 2/3 par 10 multinationales. Elle s’est servie pour cela de la dictature qui a supprimé tous les garde-fous démocratiques, et qui a pu imposer à un mouvement ouvrier décimé, des baisses de salaires, plus de productivité et la privatisation de la Sécurité sociale, de la santé et de l’Éducation, faisant s’envoler le prix des études universitaires, par exemple.

Mais les inégalités se sont accrues au Chili aussi ces dernières décennies par la politique des gouvernements de centre gauche et de gauche dits de la Concertation (avec même la participation du PC de 2014 à 2018). Ils ont assuré la continuité de l’État de classe, tout en poursuivant et approfondissant la politique économique de Pinochet, sans jamais en condamner judiciairement les crimes. Cette continuité politique et économique n’a rien d’original : c’est celle que la bourgeoisie a menée partout dans le monde au cours de la phase de mondialisation financière qui a débuté dans les années 1980. 

Le Chili a été, avec la Bolivie, le Venezuela, le Pérou, l’Équateur et le Brésil, des pays qui ont pu profiter de la situation créée dans les années 2000 par une remontée des cours des matières premières. A la faveur de luttes, ces pays ont été alors gouvernés par des partis « de gauche », « progressistes » voire se disant socialistes, comme le Venezuela de Chávez.

Ces progressistes n’ont fait que gérer le système à la solde des capitalistes et des banques. Ils ont vu peu à peu se dresser contre eux une génération militante de jeunes, lycéens et étudiants ainsi que de militants de la minorité indigène mapuche, qui ont essuyé les coups et la répression du pouvoir d’État, des forces armées restées intactes depuis la dictature.

Les actuels successeurs de la « gauche » de cette époque, le PS, le PC et une mouture « de gauche », le Frente Amplio (avec le Parti Humaniste, parti Pirate…), ont été paralysés et sidérés par l’émergence du mouvement. Leurs élus ont d’abord poursuivi leurs travaux parlementaires, votant même l’augmentation du prix du ticket de métro.

Camila Vallejo, leader étudiante en 2011 devenue députée PC, a dit qu’il fallait le dialogue et pas question « d’aller contre le gouvernement » dont l’armée arrêtait et assassinait au même moment ! Le dirigeant du PC et maire Daniel Jadue, en appelant au calme, a aussi « condamné de façon très déterminée la réponse disproportionnée du gouvernement, la délinquance, le vandalisme et les destructions » ! en demandant à Piñera « de tenir compte des collaborateurs qu’il a à ses côtés » pour un « nouveau pacte social » !

Ils ont hésité à se rendre à la rencontre des partis du Congrès prévue par Piñera pour discuter de son « agenda social » dont certains attendaient quelque chose (Seuls les partis les plus à droite l’ont fait). Ils ont fini par demander mollement au gouvernement de démilitariser le pays avant de participer à nouveau aux travaux parlementaires !

A la révolte contre les inégalités sociales qui ont explosé s’est ainsi joint le discrédit des partis institutionnels dont ceux de gauche dits progressistes. Le mouvement a démarré sans l’aval de ces partis et des syndicats proches comme le principal syndicat, la CUT. La mobilisation a dû les pousser par la suite pour qu’ils soutiennent la lutte et se mobilisent tant soit peu. Ils étaient et sont totalement empêtrés dans leur gestion du système, intégrés, face aux nouvelles générations de jeunes venus à la vie politique à la chaleur des luttes pour l’éducation gratuite pour tous dans les années 2006 puis 2011, les luttes écologistes et la vague féministe de Ni Una Menos dès 2016 pour le droit des femmes à une vie digne, pleine et sans violence avec, en particulier, le droit à disposer de son corps et le droit à l’avortement (en deux mandats, la socialiste Michelle Bachelet dont la ministre de l’Éducation Mónica Jiménez était actionnaire d’écoles privées, a effectivement envoyé les flics contre les jeunes en lutte pour l’éducation gratuite. Mais malgré ses rodomontades, elle n’a jamais légalisé l’avortement).

C’est l’accumulation d’exploitation, d’accroissement des inégalités, d’impunité pour les riches et l’armée, en dehors du corset des anciens partis réformistes devenus libéraux, dans un monde en pleine crise et convulsions, qui a explosé au Chili, en particulier dans la jeunesse et les classes populaires.

Le mouvement, commencé par les lycéens, a été rejoint par les travailleurs, du public mais aussi des ports et des mines, dont la mine privée de cuivre la plus grande au monde, La Escondida, par-delà la tête des dirigeants confédéraux. L’appel à la grève reconductible des 23 et 24 octobre a été initié par des syndicats combatifs surtout du public et des associations féministes qui l’ont imposé à la CUT. Un front de syndicats et d’associations appelé Mesa de Unión Social (Plateforme d’Union sociale) a été rejoint par la CUT qui a essayé de faire des journées de grève des journées « rues vides ». Mais en vain ! La journée de manifestation qui a suivi a été la plus massive de toutes.

Des militantes de la nouvelle vague féministe, plutôt jeunes, font partie des associations qui s’investissent le plus dans le mouvement, un mouvement sans leader ni porte-parole mais qui a retrouvé la vitalité des assemblées d’étudiants, pratiquant la démocratie directe, transparente, avec l’aide des réseaux sociaux, comme lors des révolutions arabes. La colère des jeunes et des travailleurs se sont réunies et ont entraîné celle de couches moyennes appauvries, endettées, tous les laissés pour compte du capitalisme.

Le mouvement est naturellement allé chercher des références de lutte dans le passé. Face aux violences policières, une chanson pour la paix au Vietnam de Víctor Jara est devenue un symbole. L’idée d’une lutte pacifique qui arracherait des victoires à la classe politique, à l’État et à la bourgeoisie est très présente chez les manifestants, malgré justement l’expérience du passé.

Ils n’ont pas conscience, il ne leur a pas été transmis, que parmi les nombreux présidents qui ont eu recours à l’état d’urgence et à la répression de l’armée au Chili, il y a eu le symbole de la « gauche » chilienne, Allende. C’était en juillet 1973 et ce fondateur de « la voie pacifique vers le socialisme » a imposé aux classes populaires un couvre-feu qui a servi aux militaires à fouiller, désarmer et arrêter des militants d’extrême gauche sous prétexte de combattre les « séditieux » d’extrême-droite opposés au régime qui, au contraire, ont été encouragées. C’est cette même armée et les carabiniers qui ont commencé les tortures qu’ils allaient généraliser sous la dictature en torturant des soldats qui avaient prévenu Allende de l’imminence d’un coup d’Etat d’extrême droite.

Au cours du profond mouvement actuel a resurgi aussi le slogan né durant les heures plus chaudes de la lutte de classe sous l’Unité populaire d’Allende, en 1972, « créer du pouvoir populaire ». Il défendait les cordons industriels, regroupements de travailleurs par en bas, par secteur géographique de travail, indépendamment des directions syndicales, syndiqués et non syndiqués. Ils étaient nés du besoin de s’organiser de militants ouvriers inquiets de l’imminence d’un coup d’État alors que le gouvernement d’Allende, au lieu de les armer, mettait des militaires au gouvernement (avec, comme Ministre du Travail, le dirigeant de la CUT de l’époque et membre du PC). Ils étaient l’expression d’une possibilité de double pouvoir embryonnaire mais qui n’avait pas de perspective indépendante du pouvoir de gauche d’Allende et de son État national.

Aujourd’hui, cette appellation de « cordon » a été reprise par des hospitaliers et d’autres travailleurs du public organisés autour de l’hôpital Barrios Luca, avec des étudiants et des artistes autour du syndicat GAM à Santiago ou à la Mesa de Valparaíso. Dans le Nord du pays, là aussi avec la participation de militants révolutionnaires, s’est constitué un Comité de Sauvegarde et d’Urgence regroupant des mineurs, des employés et des travailleurs du port avec des syndicats d’enseignants dont une dirigeante du PTR (parti frère du PTS d’Argentine et membre du même regroupement international que le CCR), Patricia Romo.

Ils défendent une Assemblée Constituante libre et souveraine dont les membres seraient élus et révocables, payés le salaire d’un enseignant à temps complet, assemblée décidant et appliquant ses décisions en même temps, en lieu et place de celle qui existe dans la démocratie parlementaire chilienne dont la Constitution datant de l’époque de Pinochet, est brûlée aujourd’hui en place publique. Ils revendiquent un gouvernement des travailleurs, seul capable de déposséder les capitalistes.

De la lutte insurrectionnelle qui éclate aujourd’hui au Chili émerge donc peu à peu, chez certains militants, une conscience qui reprend ce qu’il y a de plus révolutionnaire dans l’histoire ouvrière chilienne.

Il se fait jour au cœur de secteurs en lutte qu’il faut que les travailleurs prennent en main leurs propres affaires, qu’ils contrôlent leurs luttes en se préparant à diriger la société.

Ce mouvement vivant, radical, explosif, riche de possibilités révolutionnaires, est à l’image de ceux qui se déroulent dans le monde depuis quelques mois. La mondialisation du capitalisme a épuisé les marges de manœuvre des réformistes et des libéraux, elle a poussé à bout ses contradictions, le fossé entre riches et pauvres, nantis et dépossédés, elle a aussi mondialisé les colères et les luttes.

Il y aura un avant et un après ces mouvements, quelle qu’en soit l’issue. Comme disent les manifestants chiliens : « ils nous ont tout volé, même la peur ». Les vieux partis avec leurs vielles recettes et promesses ne marchent plus, la répression n’intimide plus, les manques sont trop grands et les richesses immenses. Il devient clair pour un nombre important de jeunes, de femmes et de travailleurs en lutte que ce système est caduc et qu’ils ne peuvent que l’affronter et s’organiser eux-mêmes pour le remplacer.

Mais les illusions pacifistes demeurent. Et les nombreux drapeaux chiliens expriment confusément un sentiment d’appartenir à un peuple qui ne veut pas être volé par une minorité de parasites, de voleurs, de multinationales étrangères. Mais ce « peuple » ne pourra s’en émanciper sans détruire son propre État, sans remettre en cause à l’échelle internationale la domination de la bourgeoisie, dont sa bourgeoisie qui sert le capital avec le bras armé, la police et l’armée. Les classes populaires chiliennes, par leur mobilisation, vont plus loin que leur conscience. Elles ne se comprennent pas comme partie prenante de la contestation du capitalisme par les peuples à l’échelle internationale.

C’est là où il apparaît indispensable de construire un parti révolutionnaire implanté, lié aux travailleurs et aux jeunes par des liens démocratiques crées par le travail commun, la confiance dans les petites luttes quotidiennes comme dans les grandes.

Un parti qui serve à étudier les forces en présence à la lumière des rapports de classe dans leur évolution constante avec l’aide de l’instrument du matérialisme historique, pour réunir derrière les travailleurs l’ensemble des couches exploitées, les classes moyennes paupérisées, les petits patrons, les peuples indigènes.

Un parti qui soit capable, par son expérience accumulée, par son intellectuel collectif et donc, forcément, démocratique et vivant, de se servir des expériences du passé pour comprendre le présent, pour contribuer à armer les travailleurs qui se donnent des formes d’organisation dans leur combat à prendre confiance dans leur force, à avancer pas à pas avec leurs méthodes de classe.

La tâche urgente de la construction de ce parti international des travailleurs est tout autant celle des militants chiliens que la nôtre.

Mónica